Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/16

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temporiser avec la mort [4] ; et tout à coup j’entendis la voix souterraine :

— Te voilà déjà, Boniface ? Es-tu là debout ? Certes, un menteur horoscope nous trompa tous deux ? Tes mains sordides sont-elles sitôt lasses de s’enrichir ? Ces mains, que tu ne craignis pas d’offrir à une divine épouse pour l’étouffer ensuite dans tes perfides embrassements [5] ?

Je restai, à ce discours, tel qu’un homme interdit ; et ma bouche confuse cherchait en vain une réponse à ces paroles mystérieuses.

— Réponds, me dit aussitôt mon guide, réponds-lui que tu n’es pas celui qu’il pense.

Je me penchai donc vers le coupable, et lui répondis ainsi. Alors ses pieds se tordirent avec plus d’horreur ; il soupira profondément et s’écria :

— Que désires-tu de moi ? Est-ce pour connaître ma condition déplorable que tu n’as pas craint l’abord des Enfers ? Apprends donc que ces pieds ont chaussé la mule pontificale, et que l’Ourse orgueilleuse me donna le jour [6]. Ma folle tendresse pour ses fils ambitieux n’a que trop fait voir quel sang coulait dans mes veines ; mon avare main enfouissait pour eux des trésors dans le monde, et creusait pour moi cette fosse dans l’abîme. Là-bas, sous ma tête, gisent mes devanciers en crimes et en puissance ; ils ont tous passé par ce triste détroit ; et moi-même, quand celui que tu m’as