Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/44

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À ces mots, l’un des démons, souriant avec horreur, secoua la tête et dit :

— Voyez l’invention du traître qui pense nous échapper ?

— Certes, répliqua ce grand maître d’artifice, si je suis traître, c’est aux miens puisque je les appelle à de nouvelles douleurs.

Mais un démon plus crédule prit la parole, et dit à l’infortuné :

— Si tu t’échappes, ce n’est point à la vitesse de mes pieds, mais au vol de mes ailes, que je veux me fier, et je plongerai sur toi jusque dans la poix bouillante. Amis, quittons la rive, et cachons-nous dans ces roches : éprouvons si un seul prévaudra contre dix.

Lecteur, connais à présent la fin de l’artifice. Déjà le démon qui s’était montré le plus défiant se retirait vers les roches, suivi de tous les siens, quand le Navarrois saisit l’instant, se dresse sur ses pieds, et d’un saut léger se dérobe au rivage et à ses ennemis. Le bruit de sa chute les consterna, et celui dont le conseil causait l’affront de tous, s’élança tout à coup en criant : « Je t’aurai ; » mais en vain ; car, plus prompte que son vol, la Crainte précipita l’ombre au fond du gouffre, et l’ange, en volant, n’effleura que sa surface. Ainsi, quand le faucon tombe et s’approche, le canard fuit et se glisse dans l’onde et le faucon repasse dans les airs.