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CHANT CINQUIÈME

parler ; sois la tour inébranlable qui ne laisse pas écrouler sa cime sous la fureur des vents. L’homme qui entasse pensées sur pensées s’éloigne de son but : l’activité d’une idée abat la force d’une autre. » Que pouvais-je répondre, sinon : « Je viens. » En effet, je répondis ainsi, en me couvrant de cette honnête rougeur qui accompagne les traits d’un homme digne de pardon.

Pendant que nous marchions, des âmes s’avançaient en chantant le Miserere verset à verset. Quand elles s’aperçurent que mon corps interceptait les rayons de la lumière, elles firent un oh long et rauque : deux d’entre elles, semblables à des hérauts, coururent à nous et nous dirent : « Informez-nous de votre condition. »

Mon maître repartit : « Vous pouvez vous retirer et rapporter à ceux qui vous ont envoyées que le corps de mon compagnon est de chair véritable. S’ils viennent de s’arrêter pour contempler son ombre, comme je le pense, on a répondu à ce qu’ils désirent. Qu’ils lui fassent donc honneur ; il pourrait leur être utile. »

Les deux âmes retournèrent vers leurs compagnes plus rapidement que les vapeurs embrasées, dans le commencement de la nuit, ne sillonnent l’air pur, et que le soleil ne dissipe les nuages d’août. À peine arrivées, elles revinrent à nous avec les autres, aussi vite qu’un escadron qui s’élance à toute bride. « Ces esprits, qui vont nous entourer et t’adresser des demandes, dit le poète, sont en grand nombre ; tu peux les entretenir en marchant. » Ils accouraient en criant : « Arrête un peu tes pas, ô âme qui vas pour être joyeuse, sans avoir perdu ces mêmes substances avec lesquelles tu es née. Examine si jamais tu as connu quelqu’un d’entre nous dont tu puisses porter des nouvelles sur la terre.

« Pourquoi donc continues-tu de marcher ? Pourquoi ne t’arrêtes-tu pas ? Nous avons tous péri de mort violente ; nous fûmes tous pécheurs jusqu’à notre dernier soupir ; alors la lumière du ciel nous a éclairés : nous sommes sortis de la vie dans des sentiments de pardon et de repentir, en paix avec Dieu qui nous fait brûler du désir de le contempler. » Je repris ainsi : « Pourquoi, dans vos traits défigurés, ne reconnais-je aucun visage ? Mais, ô esprits nés sous d’heureux auspices ! parlez ; que puis-je faire pour vous ? Je le ferai au nom de cette paix qui m’attache aux pas de ce guide bienfaisant avec lequel je voyage de monde en monde. »

Un des esprits parla en ces termes : « Chacun de nous se fie à toi, sans que tu t’engages par un serment, pourvu qu’une funeste influence ne détruise