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Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/247

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CHANT SEIZIÈME

et qu’il ne heurte point en chemin un objet contre lequel il risque de se blesser ou de perdre la vie.

Je marchais à travers l’air obscurci et amer, en écoutant mon guide, qui me disait : « Prends garde de te séparer de moi. » J’entendais des voix, et il me semblait que chacune d’elles demandait paix et miséricorde à l’agneau de Dieu qui efface les péchés. Elles commençaient toujours par ces mots : Agneau de Dieu. Elles chantaient toutes à l’unisson les mêmes paroles avec les accents les plus tendres. « Ô maître, dis-je, ce sont des esprits que j’entends ? » Il me répondit : « Tu as raison, et ils se purifient du péché de colère. » Une voix dit alors : « Qui es-tu, toi qui fends ainsi notre fumée et qui parles de nous comme si tu partageais encore le temps en calendes. »

Mon maître ajouta : « Réponds et demande-leur si, par ce côté, on gravit la montagne. » Je continuai ainsi : « Ô créature qui te purifies pour retourner plus belle vers ton créateur, tu apprendras des merveilles, si tu t’approches de moi. » Elle reprit : « Je te suivrai autant qu’il me sera permis, et si la fumée nous empêche de nous voir, le son nous rapprochera l’un de l’autre. »

Alors je commençai en ces termes : « Je vais dans un séjour plus fortuné, avec cette enveloppe que la mort détruit, et je suis arrivé ici en traversant l’empire des pleurs. Si Dieu m’a tellement reçu dans sa grâce qu’il me permette, contre tout usage établi par ses lois, de voir sa sainte cour, ne me cache pas qui tu as été avant la mort. Dis-moi encore si je suis le chemin de la béatitude ; qu’enfin tes paroles me servent de guide. »

L’esprit répondit : « Je fus Lombard ; on m’appela Marc : j’eus des succès dans l’étude des affaires publiques. J’aimai cette sévère probité que tout le monde abandonne aujourd’hui. Tu es dans le chemin qui conduit au haut de la montagne. » Il ajouta ensuite : « Je te conjure de prier pour moi, quand tu seras là-haut. »

Je répliquai : « Je me lie par la foi du serment, et te promets de faire ce que tu demandes. Mais je m’embarrasse dans un doute, si je ne m’explique pas sur-le-champ. Mon doute était simple ; ce que tu m’as dit le rend plus fort, lorsque je réunis ensemble tes confidences et celles que j’ai entendues plus bas. Le monde a donc abandonné la vertu, ainsi que tu me le dis ; il n’engendre que malice : mais donne-m’en une raison si claire, que je la comprenne, et que je la fasse comprendre aux autres. Les uns placent la cause de ce mal dans le ciel, les autres la placent sur la terre. »