Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/288

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qu’aussitôt que l’embryon a reçu les organes du cerveau, le principal moteur se complaît à le regarder, s’applaudit de son art, et inspire à ce fœtus un esprit nouveau rempli d’une vertu propre à unir à sa substance l’âme sensitive, et à former une âme unique qui vit, qui sent et qui réfléchit sur ses propres actions.

« Pour être moins étonné de ce discours, considère que la chaleur du soleil, jointe à l’humeur qui coule de la vigne, produit le vin. Quand Lachésis a épuisé sa quenouille, l’âme se dégage de sa chair, et emporte avec elle ses facultés divines et ses facultés humaines. Les premières, telles que la mémoire, l’intelligence et la volonté, sont dans leur action plus efficaces qu’auparavant ; les autres puissances sont comme restées muettes. Sans s’arrêter, chacune des âmes, par une impulsion intérieure, se dirige vers l’un des rivages marqués par les décrets de Dieu, et c’est là qu’elles apprennent le chemin qu’elles doivent suivre. Aussitôt qu’elle y est arrivée, la vertu informative répand à l’entour son activité, comme elle la répandait quand elle avait un corps ; et de même que l’air, lorsqu’il est pluvieux, est orné de diverses couleurs par la présence du soleil qui s’y réfléchit, de même l’air ambiant prend la forme que l’âme qui s’y est arrêtée a la vertu de lui imprimer.

« Semblable à la flamme qui suit le feu dans tous ses mouvements, le nouvel esprit garde la forme qui lui est prescrite : c’est de ce corps aérien qu’il reçoit la faculté de l’apparence, et qu’il est appelé ombre ; ensuite ses organes se forment, jusqu’à celui de la vue ; dès lors nous parlons, nous rions, nous versons des larmes, nous poussons les soupirs que tu peux avoir entendus dans la montagne ; notre corps prend le sentiment de nos désirs et de nos autres passions : telle est la cause de ce que tu vois. »

Nous étions arrivés au dernier cercle, et nous avions tourné à droite. Un autre spectacle s’était offert à mes yeux : là le bord de la montagne vomit des flammes que repousse un vent qui s’élève dans une autre direction ; aussi il fallait marcher un à un dans la partie voisine de l’abîme, parce que d’un côté je craignais d’être atteint par les flammes, et que de l’autre je craignais de me précipiter dans le cercle précédent.

Mon guide disait : « Dans ce lieu il ne faut pas s’avancer imprudemment, car il est bien facile de se tromper. » Alors j’entendis chanter au sein de si âpres ardeurs : « Dieu d’une haute clémence ; » ce qui me donnait un violent désir de me retourner. Je vis des âmes marcher à travers ces feux