Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/354

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premier amour, je retranchai des lois ce qu’elles offraient d’inutile et d’obscur. Avant de me dévouer à cet ouvrage, je croyais qu’il n’y avait qu’une seule nature dans le Christ, et je vivais satisfait d’une telle croyance ; mais le bienheureux Agapet, souverain pontife, me redressa par ses paroles à la foi véritable. J’écoutai sa voix, et je sens que son opinion était raisonnable, comme tu sens toi-même que toute contradiction a une partie fausse et une partie vraie.

« Aussitôt que j’eus commencé à marcher de concert avec l’Église, je me livrai tout entier à ce haut travail que Dieu m’avait inspiré. Je laissai le soin de mes armées à mon Bélisaire : la main du ciel le suivit visiblement, et je compris que je devais me reposer sur lui.

« Je viens de répondre à ta première question ; mais le sujet me force à t’en dire davantage, et je veux que tu connaisses la force des raisons de ceux qui se disent les défenseurs du signe sacré et de ceux qui le combattent. Vois quelle est la vertu qui a rendu ce signe si vénérable.

« À la mort de Pallas, l’aigle commença à régner. Tu sais qu’elle séjourna dans la ville d’Albe pendant plus de trois siècles, jusqu’au moment où pour elle les trois combattirent contre trois. Tu sais où elle habita, depuis l’affront aux Sabines jusqu’à la douleur de Lucrèce, sous sept rois qui soumirent les nations voisines. Tu sais qu’elle anima les valeureux citoyens de Rome quand ils marchèrent contre Brennus, contre Pyrrhus, contre tant d’autres princes et leurs alliés. Torquatus, Quintius, qui reçut un surnom de sa chevelure mal soignée, les Décius et la famille Fabia lui durent cette renommée que je me rappelle avec délices. Elle écrasa l’orgueil de ces Arabes qui suivirent Annibal à travers les Alpes incultes d’où, toi, Pô, tu t’écoules. Scipion et Pompée encore jeunes, obtinrent le triomphe, sous ce même signe qui parut acerbe à la colline au pied de laquelle tu as pris naissance.

« Puis, lorsque le ciel voulut faire connaître à la terre la félicité dont il jouit lui-même, l’aigle fut confiée à Jules par la volonté de Rome : c’est alors que l’Isère, la Saône, les vallées du Rhône et la Seine ont vu ce signe s’avancer depuis le Var jusqu’au Rhin. La langue et la plume n’auraient pu suivre la rapidité de son vol, quand il sortit de Ravenne, et sauta le Rubicon. Il se dirigea bientôt vers l’Espagne, puis vers Durazzo, frappa Pharsale, et fit sentir le poids de ses coups au Nil brûlant. Revoyant Antandre, le Simoïs, et le lieu où repose Hector, contrées d’où il était parti, il devint fatal à Ptolémée. De là il s’élança foudroyant sur Juba, et tout à coup se