Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/362

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Je ne puis pas dire comment je montai dans cette sphère ; mais Béatrix devenant plus belle, je ne doutais pas que je fusse arrivé dans cette nouvelle planète.

De même qu’on distingue l’étincelle à travers la flamme ; de même que dans un concert on reconnaît une voix qui file un son prolongé, et celle qui va et revient, de même je découvris dans cette étoile une foule de lueurs qui se mouvaient en rond plus ou moins vite, en raison, je crois, de leurs mérites éternels.

Les vents qui descendent de la nuée, visibles ou non, paraîtraient lents et embarrassés à celui qui aurait vu ces substances accourir à nous, et abandonner le mouvement de rotation qu’elles reçoivent des hauts séraphins.

Derrière celles qui s’approchèrent le plus de nous, on chantait Osanna, avec tant d’harmonie que depuis j’ai toujours désiré entendre une autre fois ce divin concert.

Une d’elles, s’adressant à moi, me dit : « Nous sommes prêtes à ton plaisir, pour que tu jouisses auprès de nous. Ici, nous participons au même tour, au même mouvement, et à la même soif que les princes célestes, à qui dans le monde tu as dit : Vous qui, comprenant la gloire de Dieu, connaissez le mouvement du troisième ciel ; nous sommes si remplies d’amour, que, pour te plaire, nous ne regretterons pas de nous être arrêtées un moment. »

Je portai sur Béatrix mes regards respectueux, et quand elle les eut rendus contents d’elle et assurés, ils se tournèrent vers l’esprit qui s’était tant promis, et je parlai ainsi, avec la plus vive émotion : « Dis, qui es-tu ? »

À ces mots, comme je vis s’animer sa splendeur par la joie nouvelle qui accrut son allégresse ! Il répondit après cette sensation subite : « Le monde me vit peu de temps ; si ma carrière avait été plus longue, il y aurait beaucoup de malheurs qui n’arriveraient pas. La joie qui m’environne me cache à tes yeux, comme la soie entoure l’animal industrieux qui la produit. Tu m’as beaucoup aimé, et tu avais raison de me chérir.

« Si je fusse resté plus longtemps sur terre, tu aurais vu autre chose que les feuilles de mon amour. Je devais gouverner le pays situé sur la rive gauche du Rhône, à l’endroit où les eaux de ce fleuve sont mêlées à celles de la Sorgue, et cette aile de l’Ausonie où sont placés Bari, Gaëte et Catona, et d’où le Tronto et le Verde se lancent dans la mer.