Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/363

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« Déjà brillait sur mon front la couronne de cette contrée que baigne le Danube lorsqu’il abandonne les rives de l’Allemagne. La belle Trinacrie, qui, près du golfe soumis plus particulièrement à l’influence de l’Eurus, entre Pachino et Peloro, se couvre d’un épais brouillard, non pas à cause du supplice de Tiphée, mais parce que c’est là que commencent à paraître les lits de soufre, la belle Trinacrie aurait reconnu pour ses maîtres mes descendants, nés par moi, de Charles et de Rodolphe, si les gouverneurs, abusant de leur autorité, ce qui a toujours irrité les peuples, n’eussent forcé Palerme à crier : Meure, meure !

« Mon frère devait être prudent, et, par égard pour ses sujets, ne pas autoriser la cupidité sordide de ses Catalans. Il ne faut charger sa barque que de ce qu’elle peut porter. Cet avis serait utile à lui et à tout autre. Pourquoi ce prince avare, né d’un père libéral, n’a-t-il pas la sagesse de chercher des ministres moins empressés de remplir leurs coffres ?

— Ô mon maître ! dis-je alors, combien m’est agréable cette haute joie que me causent tes paroles ! Sans doute aussi tu vois la même joie en Dieu, qui est le commencement et la fin de tout bien : mais ce qui me réjouit, c’est que tu connais mon bonheur, toi pour qui Dieu réfléchit toutes les images.

« Cependant éclaircis un doute qui me tourmente. Comment d’une bonne semence peut-il naître une semence amère ? »

Je parlai ainsi à l’esprit, et il me répondit : « Si je puis te montrer une vérité, alors ce que tu me demandes, et qui est derrière toi, se trouvera devant tes yeux. Le bien suprême qui meut et comble de bonheur le royaume que tu parcours, ne prive jamais ces grands corps de sa divine providence. Dieu, qui est parfait, a non-seulement placé toutes les natures dans son esprit, mais il veut toujours qu’elles soient entières et parfaites comme lui. Tout trait que cet arc dirige, atteint le terme marqué, comme la flèche bien lancée arrive à son but.

« S’il en était autrement, dans ce ciel qui est sous tes yeux, au lieu d’admirer l’ordre qui y règne, tu n’y verrais que des monceaux de ruines ; ce qui ne pourrait arriver que si les intelligences qui meuvent ces étoiles étaient imparfaites, comme le serait le premier moteur, qui ne leur aurait pas donné la perfection. Veux-tu que cette vérité s’éclaircisse encore plus ?

— Non, dis-je, parce que je crois qu’il est impossible que la nature manque dans ce qui est nécessaire.