Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/483

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gnes renvoyer quelques facultés à ma mémoire, et raisonner quelque peu dans ces vers.

Je crois que si mes regards avaient cessé d’être attachés fortement sur ce spectacle resplendissant, et s’en étaient un moment détournés, j’aurais perdu le don ineffable qui m’était accordé ; et je me souviens que, devenant plus hardi à soutenir un tel éclat, je confondis bientôt mes yeux dans l’excellence infinie de cette lumière.

Ô grâce abondante, tu me permettais de contempler la splendeur éternelle où mes regards s’absorbaient, et je vis dans toute sa profondeur, qu’un amour réciproque avait réuni dans un seul volume ce qui est répandu dans le monde en plusieurs feuillets : les substances, les accidents et leurs effets y étaient comme confondus d’une telle manière, que mes chants suffisent à peine pour en faire concevoir une faible idée. Je crois que j’ai bien conservé dans mon esprit la forme universelle de ce nœud qui lie tant de substances diverses, et je pense ne m’être pas trompé ; car en y réfléchissant, je me sens rempli d’une douce joie : cependant le moindre point de temps écoulé depuis ma vision en efface la trace, plus aisément que vingt-cinq siècles n’effaceraient celle de l’entreprise qui fit admirer à Neptune l’ombre d’Argo.

Immobile et attentif, je regardais en silence, et je m’enflammais d’une ardeur nouvelle. L’effet de ce spectacle miraculeux est tel, qu’il est impossible de consentir à toute autre pensée. Le bien qu’on désire est tout en cette lumière : hors d’elle, tout est rempli de défauts : dans elle, tout est doué de la perfection.

Pour décrire ce dont je peux me souvenir, ma langue sera donc plus impuissante que celle d’un enfant à la mamelle. Ce n’est pas qu’il y eut dans cette vive lumière que je regardais, plus qu’un aspect unique, car il est toujours tel qu’il était auparavant : mais pour ma vue qui se fortifiait à mesure que je le regardais, ce seul aspect s’altérait à cause du changement qui s’opérait en moi.

Dans la claire et profonde subsistance de la haute lumière, il me sembla que je distinguais trois cercles de trois couleurs qui n’en formaient qu’un seul : le premier était réfléchi par le second, comme Iris réfléchit Iris ; le troisième paraissait un feu qui brillait de la lumière des deux autres.

Que mes paroles sont vaines ! qu’elles sont molles pour exprimer ce que je conçois ! et ce que je conçois n’est plus rien, si je le compare à ce que j’ai vu. Ô lumière éternelle, qui ne reposes qu’en toi, qui seule peux t’en-