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L’ENFER

d’haleine, et ne pouvant fuir davantage, il se retrancha dans un buisson épais. Derrière eux, la forêt se remplissait de chiennes affamées et lancées comme des lévriers qu’on a récemment déchaînés : elles s’acharnèrent sur le coupable qui s’était arrêté, le déchirèrent à pleines dents, ainsi que le buisson, et emportèrent dans le bois ses membres palpitants.

Mon guide me prit par la main : il me mena vers le buisson ensanglanté qui avait si mal protégé l’ombre criminelle, et qui poussait des cris, en faisant entendre ces mots : « Jacques de Saint-André, à quoi t’a-t-il servi de me demander un refuge ? moi, qu’ai-je de commun avec tes crimes ? » Mon maître s’arrêta près du buisson, et lui parla ainsi : « Qui étais-tu, toi qui, déchiré par tant de blessures, souffles avec des mots de sang ces paroles si douloureuses ? » Le buisson répondit : « Âmes qui êtes venues voir le ravage cruel de mes rameaux, rassemblez-les au pied de ce tronc malheureux. Je suis né dans cette ville qui rejeta son premier maître pour offrir son culte au Précurseur : aussi ce maître qu’elle a méprisé emploiera-t-il son arme terrible à la persécuter. Si un débris de la statue de ce protecteur ne reposait pas encore sur la rive de l’Arno, les citoyens qui relevèrent cette cité des ruines sous lesquelles Attila l’avait ensevelie, se seraient inutilement livrés à cette glorieuse entreprise. Je suis ici, parce que j’ai fait pour moi-même un gibet de ma propre maison. »