Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/79

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L’amour se fait sentir en moi si doux
Que, si la hardiesse ne venait à me manquer,
Mes accens rendraient tout le monde amoureux.
Et je ne veux pas non plus me hausser à un point
Que je ne saurais soutenir jusqu’à la fin.
Mais je traiterai délicatement de sa grâce infinie
Avec vous, femmes et jeunes filles amoureuses,
Car ce n’est pas une chose à en entretenir d’autres que vous.
Un ange a fait appel à la divine Intelligence et lui a dit :
Seigneur, on voit dans le monde
Une merveille dont la grâce procède
D’une âme qui resplendit jusqu’ici.
Le ciel, à qui il ne manque
Que de la posséder, la demande à son Seigneur,
Et tous les saints la réclament.
La pitié seule prend notre parti[1],
Car Dieu dit en parlant de ma Dame :
Ô mes bien aimés, souffrez en paix
Que votre espérance attende tant qu’il me plaira
Là où il y a quelqu’un qui s’attend à la perdre,
Et qui dira dans l’Enfer aux méchans :
J’ai vu l’espérance des Bienheureux.
Ma Dame est donc désirée là-haut dans le ciel.
Maintenant je veux vous faire connaître la vertu qu’elle possède,
Et je dis : que celle qui veut paraître une noble femme
S’en aille avec elle, car quand elle s’avance
L’Amour jette au cœur des méchans un froid
Tel que leurs pensées se glacent et périssent ;
Et celui qui s’arrêterait à la contempler

  1. Dieu a pitié de nous en nous la conservant.