Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/303

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insurmontable, un engourdissement invincible nous ont saisis, nous ont rendus incapables du moindre effort, de toute résolution, et nous nous sommes trouvés, un beau jour, beaucoup plus Prussiens que Français. Il fallait un coup de tonnerre, un événement imprévu, comme la sortie du 19 janvier, pour nous tirer de notre léthargie, pour produire chez nous une surexcitation factice. Et lorsque les Allemands revenaient vainqueurs, lorsque notre espoir se trouvait déçu, nous nous assoupissions, de nouveau, avec accablement, en attendant la chute finale.

Moi, je l’ai souhaitée, cette chute, je l’ai désirée ardemment. J’étouffe, je me sens empoisonné peu à peu par l’air vicié que je respire depuis de longs mois. Sous l’influence du milieu dans lequel je vis, je sens ma conscience s’endormir, mon esprit se paralyser ; je veux en sortir, en sortir à tout prix, de ce milieu que je hais. Je ne veux pas grandir dans l’étouffante atmosphère familiale, comme les plantes qu’on fait pousser dans les serres chaudes où montent des vapeurs malsaines, et qui s’étiolent lorsqu’on leur fait voir le soleil. Je veux grandir à l’air libre. Je ne veux pas vivoter. Je veux vivre.