Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/34

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enfants !… Comme de ton mari, n’est-ce pas ?… Tout pour ta famille ! Une famille de fripons, de canailles !… De canailles !…

J’ai encore de ces cris-là dans les oreilles, de ces cris haineux, mal étouffés par les murs, et qui venaient souvent, la nuit, me terrifier dans mon petit lit. Je savais que mes parents se disputaient et s’insultaient, que mon père bousculait ma mère pour de l’argent. Et depuis ce temps-là j’ai le dégoût et la peur de l’argent. J’ai presque deviné, à douze ans, tout ce que peut faire commettre d’horrible et d’infâme une ignoble pièce de cent sous.

J’ai grandi au milieu de discussions d’intérêt coupées de scènes de plus en plus violentes jusqu’à la mort de ma mère. Ces scènes ont effacé en moi, à la longue, son image douce et bonne, et je ne peux plus la voir quand j’évoque son souvenir, que pâle et craintive, baissant la tête, pauvre bête maltraitée sans pitié par son maître, et fuyant sous les coups. J’ai gardé aussi, de ce temps-là, une grande frayeur de mon père.

Non pas qu’il soit mauvais pour moi. Mais il y a dans son regard quelque chose de méchant qu’il ne peut arriver à adoucir.