Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

une horrible peur. J’ai trébuché. J’ai été forcé de me retenir à un palan pour ne pas tomber à la renverse.

— On voit que le vin du cambusier n’est pas mauvais, m’a dit le Pandore, qui m’a cru ivre, et qui s’est mis à rire, grassement…

Deux ou trois frayeurs comme celle-là, et j’aurais perdu la boule. J’aurais été atteint, pour de bon, du délire de la persécution…


Nous sommes partis de Marseille à trois heures de l’après-midi, et, dans ma joie de me sentir enfin seul, livré à moi-même, débarrassé du sous-officier qui nous avait escortés jusque-là, je n’ai vu ni la gare, ni la grande salle d’attente retentissante des exclamations méridionales ; je suis passé rapidement devant le jardin planté d’arbres où se promènent, un panier au bras, des marchandes de provisions.


Un jardin, une gare, des paniers, des marchands ? C’est possible. Je ne sais pas.

Je suis entré tout droit dans la salle du départ et je me suis assis, contre la porte qui donne sur le quai, sur un banc. Mon cœur battait très fort, mes genoux tremblaient, un flot de sang me montait au visage. ― Je n’avais plus de sang qu’à la tête.

J’avais mon billet dans la poche de mon dolman et je le sentais, ― oui, je le sentais, à travers la doublure, à travers la toile de ma chemise, comme s’il avait voulu m’entrer dans la chair ! Il me brûlait la peau, ce morceau de carton.


Tout d’un coup, la porte s’ouvre. Je m’élance, bousculant l’employé, je me précipite dans un wagon comme une bête féroce dans la cage où saigne un