Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/460

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m’endors, et je ne me réveille qu’à la frontière. Je ne serai pas à Wiesbaden avant midi ; c’est encore loin…..

Pourtant, ça vient. Comme je descends du wagon, un commissionnaire, qui s’empare de ma valise, me recommande l’hôtel « Die drei Störche », un établissement récemment ouvert dans la Wilhelmstrasse, à deux pas de la gare. Pourquoi pas là aussi bien qu’ailleurs ? Cette enseigne des « Trois Cigognes » me rappelle l’hôtel où le cousin Raubvogel fit jadis ses premières armes, à Mulhouse. C’est déjà si vieux, tout ça !… L’hôtel est un établissement de premier ordre. J’envoie un mot à mon oncle, pour l’aviser de mon arrivée, je fais rapidement ma toilette, je déjeune, et il n’est guère plus de deux heures et demie lorsque je sonne à la porte de l’appartement occupé, dans la Rheinstrasse, par le général en retraite von Falke.

Nous éprouvons, mon oncle et moi, lorsque nous nous trouvons en présence, un embarras momentané. Il y a plus de vingt-cinq ans que la vie nous a séparés ; le souvenir que nous avons gardé l’un de l’autre, en dépit de toute logique, est la représentation un peu effacée des êtres que nous étions, il y a un quart de siècle. En l’homme qu’il a devant lui, mon oncle doit retrouver l’enfant, doit voir l’enfant qui a grandi. Et l’homme fort, dont j’ai conservé l’image, descend rapidement en mon imagination le cours des années et devient le vieil homme que j’ai sous les yeux — un vieillard que j’ai déjà vu, j’en ai la sensation soudaine, un vieillard que je connais. Mon oncle, avec ses cheveux blancs, son large front, ses profonds yeux bleus et sa haute taille un peu courbée, mon oncle me rappelle trait pour trait mon grand-père — son père à lui.

Il laisse voir franchement la joie que lui cause ma visite ; mais sous cette joie perce une certaine inquiétude, qu’il ne tarde pas à exprimer en deux ou trois questions