Page:Darien - La Belle France.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à supporter indéfiniment l’énorme fardeau d’impôts dont il s’est chargé. Pourtant, avec le présomptueux entêtement des cerveaux vides, il ne veut point renoncer à la parole qu’il s’est donnée à lui-même ; il se cramponne en désespéré à des épaves d’espoirs ; fait semblant d’ajouter foi aux boniments des charlatans qui le grugent ; et persiste, en dépit des faits et des évidences, à poser pour le torse, à prendre des attitudes vengeresses. Rien n’est plus fatigant, naturellement ; il n’y a point d’exercice qui lasse plus rapidement et davantage que de donner des coups de poing dans le vide. Et, pour se reposer, se détendre les nerfs et se préparer à de nouvelles démonstrations, le Français se met à insulter ses voisins, à vider sur eux, à pleines hottes, la calomnie et l’injure.

Entre temps, il se permet de les juger, assure que l’Impérialisme anglais n’est que l’avant-coureur de la ruine pour la puissance britannique ; que la politique d’expansion inaugurée récemment par les États-Unis est une erreur, de conséquences incalculables ; et que l’Allemagne commit, en 71, une lourde faute en annexant l’Alsace-Lorraine. Il contemple, du fond de sa taverne, les progrès du monde, critique, nargue, moralise, suggère, sans songer à s’étonner un instant que tout marche lorsque lui seul reste immobile, accroupi sur sa défaite, en contemplation devant son armée — la Grande Muette, idole de la Grande Bavarde.

Elle est devenue l’idole depuis que, dès son retour des forteresses allemandes, elle se fut « régénérée dans un bain de sang » français. Elle a trouvé ses premiers fidèles dans la tourbe bourgeoise qui avait léché les bottes du vainqueur et n’aspirait qu’à baiser celles du vaincu ; car le fracas des canons, le cliquetis des éperons et des sabres sont nécessaires pour étouffer le bruit de l’or volé qu’on verse dans les coffres-forts et les sanglots des victimes qu’on étrangle derrière les comptoirs ; horde immonde dont la lâcheté devant l’envahisseur fut sans bornes, dont l’infamie est indicible, et pour les privilèges de qui se firent tuer ou mutiler des nigauds qui seraient prêts,