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LE VOLEUR

a bien des bourgeois qui finissent par le suicide.


Je descends du cab que j’ai pris à Waterloo Station, et je fais résonner de toute ma force le marteau qui pend à ma porte. Annie vient m’ouvrir.

— Bonsoir, Annie. Madame est là-haut ?

— Monsieur… je… Monsieur…

Sa figure s’effare ; elle bégaye.

— Qu’y a-t-il ? crié-je en montant rapidement l’escalier. Charlotte ! Charlotte !

Personne ne répond. J’arrive au premier, j’ouvre violemment les portes. Les pièces sont vides… Annie, qui m’a suivi, me regarde toute tremblante.

— Qu’y a-t-il, vieille folle ? Allez-vous parler, à la fin, nom de Dieu ? Où est Madame ?

— Elle est partie hier, répond Annie en sanglotant… Je lui disais… Je lui disais… Elle a laissé une lettre… cette lettre…

Je déchire l’enveloppe.


«…….. Notre vie à tous deux serait un martyre, si je restais. Tu me l’as dit et je le crois, je te deviendrais funeste. Il ne faut pas m’en vouloir, vois-tu ; je ne suis pas assez forte ; je ne puis arriver à dompter mes nerfs, et ma détresse est tellement grande, lorsque je te sens en péril, que je ne puis pas la cacher. Oh ! c’est navrant ! Il est écrit que quelque chose doit toujours nous séparer… J’ai le cœur serré dans la griffe d’une destinée implacable, et c’est un tel déchirement de te quitter pour jamais !… Mais il vaut mieux que je parte. Je te porterais malheur… Tu m’oublieras… Ah ! pourquoi ai-je voulu revenir à Londres ? Pourquoi ont-ils passé si vite, ces trois mois où nous avons connu le bonheur d’être, où tu m’as aimée, ces mois qui furent une grande journée de joie dont le souvenir me supplicie en écrivant ces lignes, dans les affres de mon agonie… »