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Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/310

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292 Instinct.  

larves et les nymphes soient exposées, les esclaves se mettent énergiquement à l’œuvre et aident leurs maîtres à les emporter et à les mettre en sûreté ; il est donc évident que les fourmis esclaves se sentent tout à fait chez elles. Pendant trois années successives, en juin et en juillet, j’ai observé, pendant des heures entières, plusieurs fourmilières dans les comtés de Surrey et de Sussex, et je n’ai jamais vu une seule fourmi esclave y entrer ou en sortir. Comme, à cette époque, les esclaves sont très peu nombreuses, je pensai qu’il pouvait en être autrement lorsqu’elles sont plus abondantes ; mais M. Smith, qui a observé ces fourmilières à différentes heures pendant les mois de mai, juin et août, dans les comtés de Surrey et de Hampshire, m’affirme que, même en août, alors que le nombre des esclaves est très considérable, il n’en a jamais vu une seule entrer ou sortir du nid. Il les considère donc comme des esclaves rigoureusement domestiques. D’autre part, on voit les maîtres apporter constamment à la fourmilière des matériaux de construction, et des provisions de toute espèce. En 1860, au mois de juillet, je découvris cependant une communauté possédant un nombre inusité d’esclaves, et j’en remarquai quelques-unes qui quittaient le nid en compagnie de leurs maîtres pour se diriger avec eux vers un grand pin écossais, éloigné de 25 mètres environ, dont ils firent tous l’ascension, probablement en quête de pucerons ou de coccus. D’après Huber, qui a eu de nombreuses occasions de les observer en Suisse, les esclaves travaillent habituellement avec les maîtres à la construction de la fourmilière, mais ce sont elles qui, le matin, ouvrent les portes et qui les ferment le soir ; il affirme que leur principale fonction est de chercher des pucerons. Cette différence dans les habitudes ordinaires des maîtres et des esclaves dans les deux pays, provient probablement de ce qu’en Suisse les esclaves sont capturées en plus grand nombre qu’en Angleterre.

J’eus un jour la bonne fortune d’assister à une migration de la Formica sanguinea d’un nid dans un autre ; c’était un spectacle des plus intéressants que de voir les fourmis maîtresses porter avec le plus grand soin leurs esclaves entre leurs mandibules, au lieu de se faire porter par elles comme dans le cas de la Formica rufescens. Un autre jour, la présence dans le même endroit d’une