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BAHIA BLANCA.

cette position, et enfin, éclatant de rire, il s’écria : Mugeres ! (Des femmes !) Il venait de reconnaître la femme et la belle-sœur du fils du major, qui cherchaient des œufs d’autruche. J’ai décrit la conduite de cet homme parce que tous ses actes étaient dictés par la conviction que nous nous trouvions en face d’Indiens. Aussitôt, cependant, qu’il eut découvert son absurde méprise, il me donna cent bonnes raisons pour me prouver que ce ne pouvaient pas être des Indiens ; raisons qu’un instant auparavant il avait absolument oubliées. Nous nous dirigeâmes alors paisiblement vers Punta Alta, pointe peu élevée d’où nous pouvions cependant découvrir presque tout l’immense port de Bahia Blanca.

L’eau est coupée par de nombreuses digues de boue, que les habitants appellent cangrejales, à cause de la quantité considérable de petits crabes qui les habitent. Cette boue est si molle, qu’il est impossible de marcher dessus et même d’y faire quelques pas. La plupart de ces digues sont couvertes de joncs fort longs, dont le sommet seul est visible à la marée haute. Un jour que nous étions en bateau, nous nous perdîmes si bien au milieu de cette boue, que nous eûmes la plus grande difficulté à en sortir. Nous ne pouvions rien voir que la surface plane de la boue ; la journée n’était pas très-claire, et il avait une forte réfraction, ou, pour employer l’expression des matelots, « les choses se miraient en l’air. » Le seul objet qui ne fût pas de niveau était l’horizon ; les joncs nous faisaient l’effet de buissons suspendus dans l’air ; l’eau nous semblait être de la boue et la boue de l’eau.

Nous passâmes la nuit à Punta Alta, et je me mis à la recherche d’ossements fossiles ; ce point est, en effet, une véritable catacombe de monstres appartenant à des races éteintes. La soirée était parfaitement calme et claire ; le paysage devenait intéressant à force d’être monotone : rien que des digues de boue et des goélands, des collines de sable et des vautours. Le lendemain, en nous en allant, nous vîmes les traces toutes fraîches d’un puma, mais sans pouvoir découvrir l’animal. Nous vîmes aussi un couple de zorillos ou mouffettes, animaux odieux qui sont assez communs. Le zorillo ressemble assez au putois, mais il est un peu plus grand et beaucoup plus gros en proportion. Ayant conscience de son pouvoir, il ne craint ni homme ni chien, et erre en plein jour dans la plaine. Si on pousse un chien à l’attaquer, son élan s’arrête immédiatement, pris qu’il est de nausées dès que le zorillo laisse tomber quelques gouttes de son huile fétide. Quelle que soit la