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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/99

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UNE AVENTURE.

stance porterait à croire que le sulfate de soude est engendré dans le sol par le muriate laissé à la surface pendant le lent et récent soulèvement de ce pays sec ; quoi qu’il en soit, ce phénomène mérite d’appeler l’attention des naturalistes. Les plantes vigoureuses qui se plaisent dans le sel et qui, on le sait, contiennent beaucoup de soude, ont-elles le pouvoir de décomposer le muriate ? La boue noire, fétide, abondant en matières organiques, cède-t-elle le soufre et enfin l’acide sulfurique dont elle est saturée ?

Deux jours après, je me rends de nouveau au port. Nous approchions de notre destination, quand mon compagnon, le même homme qui m’avait déjà guidé, aperçut au loin trois personnes chassant à cheval. Il mit aussitôt pied à terre, les examina avec soin et me dit : « Ils ne montent pas à cheval comme des chrétiens, et d’ailleurs personne ne peut quitter le fort. » Les trois chasseurs se réunirent et mirent aussi pied à terre. Enfin l’un d’eux remonta à cheval, se dirigea vers le sommet de la colline et disparut. Mon compagnon me dit : « Il nous faut actuellement remonter à cheval ; chargez votre pistolet ; » et il examina son sabre. « Sont-ce des Indiens ? lui demandai-je. — Quien sabe ? (Qui sait ?) D’ailleurs, s’ils ne sont que trois, cela importe peu. » Je pensai alors que l’homme qui avait disparu derrière la colline était allé chercher le reste de la tribu. Je communiquai cette pensée à mon guide, mais il me répondait toujours par son éternel : Quien sabe ? Ses regards ne quittaient pas un instant la ligne de l’horizon, qu’il scrutait avec soin. Son imperturbable sang-froid finit par me sembler une véritable plaisanterie, et je lui demandai pourquoi nous ne retournions pas au fort. Sa réponse m’inquiéta un peu : « Nous retournons, dit-il, mais de façon à passer auprès d’un marais ; nous y lancerons nos chevaux au galop, et ils nous porteront tant qu’ils pourront ; puis nous nous fierons à nos jambes ; de cette manière, il n’y a pas de danger. » J’avoue que, ne me sentant pas bien convaincu, je le pressai de marcher plus vite. « Non, me répondit-il, non pas, tant qu’ils n’accéléreront pas leur allure. » Nous nous mettions à galoper dès qu’une petite inégalité de terrain nous dérobait à la vue des étrangers ; mais, quand nous étions en vue, nous allions au pas. Nous atteignîmes enfin une vallée et, tournant à gauche, nous gagnâmes rapidement au galop le pied d’une colline ; il me donna alors son cheval à tenir, fit coucher les chiens et s’avança en rampant sur les mains et les genoux, pour reconnaître le prétendu ennemi. Il resta quelque temps dans