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DE BAHIA BLANCA A BUENOS AYRES.

Ces soldats habitent une petite hutte, faite de tiges de chardons, qui ne les abrite ni contre le vent, ni contre la pluie ; dans ce dernier cas même, la seule fonction du toit consiste à la réunir en gouttes plus larges. On ne leur fournit pas de vivres, ils n’ont pour se nourrir que ce qu’ils peuvent attraper : autruches, cerfs, tatous, etc.; pour tout combustible, ils n’ont que les tiges d’une petite plante qui ressemble quelque peu à un aloès. Le seul luxe que puissent se permettre ces hommes est de fumer des cigarettes et de mâcher du maté. Je ne pouvais m’empècher de penser que les vautours, compagnons ordinaires de l’homme dans ces plaines désertes, perchés sur les hauteurs voisines, semblaient, par leur patience exemplaire, dire à chaque instant : « Ah ! quel festin quand viendront les Indiens. »

Dans la matinée, nous sortons tous pour aller chasser ; nous n’avons pas grand succès, et cependant la chasse est animée. Peu après notre départ, nous nous séparons ; les hommes font leur plan de façon qu’à un certain instant de la journée (ils sont fort habiles pour calculer les heures) ils se rencontrent tous, venant de différents côtés à un endroit désigné, pour rabattre ainsi à cet endroit les animaux qu’ils pourraient rencontrer. Un jour, j’assistai à une chasse à Bahia Blanca ; là, les hommes se contentèrent de former un demi-cercle, séparés les uns des autres d’un quart de mille environ. Les cavaliers les plus avancés surprirent une autruche mâle qui essaya de s’échapper d’un côté. Les Gauchos poursuivirent l’autruche de toute la vitesse de leurs chevaux, chacun d’eux faisant tournoyer les terribles bolas autour de sa tête. Celui enfin qui était le plus proche de l’oiseau les lança avec une vigueur extraordinaire ; elles allèrent s’enrouler autour des pattes de l’autruche, qui tomba impuissante sur le sol.

Trois espèces de perdrix[1], dont deux aussi grosses que des poules faisanes, abondent dans les plaines qui nous entourent. On rencontre aussi en quantité considérable, un joli petit renard, leur ennemi mortel ; dans le courant de la journée, nous en avons vu au moins quarante ou cinquante ; ils se tiennent ordinairement à l’entrée de leur terrier, ce qui n’empêche pas les chiens d’en tuer un. À notre retour à la posta, nous retrouvons deux de nos hommes qui avaient chassé de leur côté. Ils ont tué un puma et découvert

  1. Deux espèces de Tinamus et l’Eudromia elegans, de A. d’Orbigny, que ses habitudes seules peuvent faire appeler une perdrix.