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ÉTAT DE LA SOCIÉTÉ.

de syénite. Ce village est assez joli. Dans ce pays, d’ailleurs, on peut appeler pittoresque le moindre site élevé de quelques centaines de pieds au-dessus du niveau général dès qu’il est recouvert de quelques maisons entourées de figuiers.


Pendant les six derniers mois j’ai eu l’occasion d’étudier le caractère des habitants de ces provinces. Les Gauchos, ou paysans, sont bien supérieurs aux habitants des villes. Invariablement, le Gaucho est fort obligeant, fort poli, fort hospitalier ; je n’ai jamais vu un exemple de grossièreté ou d’inhospitalité. Plein de modestie quand il parle de lui-même ou de son pays, il est en même temps hardi et brave. D’autre part, on entend constamment parler de vols et de meurtres ; l’habitude de porter toujours un couteau est la principale cause de ces derniers. Il est déplorable de penser au nombre de meurtres que causent d’insignifiantes querelles. Chacun des combattants essaye de toucher son adversaire à la face, de lui couper le nez ou de lui arracher les yeux ; on en a la preuve dans les horribles cicatrices qu’ils portent presque tous. Les vols proviennent naturellement des habitudes enracinées des Gauchos pour le jeu et pour la boisson et de leur extrême indolence. Une fois, à Mercedes, je demandai à deux hommes que je rencontrai pourquoi ils ne travaillaient pas. « Les jours sont trop longs, » me répondit l’un ; « je suis trop pauvre, » me répondit l’autre. Il y a un si grand nombre de chevaux, des aliments en profusion telle, qu’on ne ressent pas le besoin de l’industrie. En outre, le nombre des jours fériés est incalculable ; enfin, une entreprise n’offre quelques chances de réussite que si on la commence pendant que la lune croît ; de telle sorte que ces deux causes font perdre la moitié du mois.

Rien de moins efficace que la police et la justice. Si un homme pauvre commet un meurtre et est pris, on l’emprisonne et peut-être même on le fusille ; mais s’il est riche et qu’il ait des amis, il peut compter que l’affaire n’aura pour lui aucune mauvaise conséquence. Il est à remarquer que la plupart des habitants respectables du pays aident invariablement les meurtriers à s’échapper ; ils semblent penser que l’assassin a commis un crime contre le gouvernement et non contre la société. Un voyageur n’a d’autre protection que ses armes à feu, et la constante habitude qu’on a de les porter empêche seule des vols plus fréquents.

Les classes plus élevées, plus instruites, qui habitent les villes possèdent, à un degré moindre cependant, les qualités du Gaucho ;