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RIO DE LA PLATA.

fession de gentleman, si je peux m’exprimer ainsi, paraît fort étrange à un Anglais.

Il faut toujours se rappeler, d’ailleurs, quand on parle de ces pays, la façon dont les a traités l’Espagne, leur mère patrie dénaturée. Peut-être méritent-ils, en somme, plus de louanges pour ce qu’ils ont fait, que de blâme pour n’avoir pas été plus vite en besogne. Sans contredit, l’extrême libéralisme qui règne dans ces pays finira par produire d’excellents résultats. Ceux qui ont visité les anciennes provinces espagnoles de l’Amérique du Sud doivent se rappeler avec bonheur l’excessive tolérance religieuse qui y règne, la liberté de la presse, les soins qu’on apporte à répandre l’instruction, les facilités mises à la disposition de tous les étrangers et surtout l’obligeance qu’on montre toujours pour ceux qui s’occupent de science.


6 décembre. — Le Beagle quitte le rio de la Plata. Nous ne devions plus rentrer dans ce fleuve boueux. Nous nous dirigeons vers Port-Desire, sur la côte de la Patagonie. Avant d’aller plus loin, je vais consigner ici quelques observations faites en mer.

Plusieurs fois, quand notre vaisseau se trouvait à quelques milles au large de l’embouchure de la Plata, ou au large des côtes de la Patagonie septentrionale, nous nous sommes vus environnés d’insectes. Un soir, à environ 10 milles de la baie de San Blas, nous avons vu des bandes ou des troupeaux de papillons, en multitude infinie, s’étendant aussi loin que la vue pouvait porter ; à l’aide même du télescope, il était impossible de découvrir un seul endroit où il n’y ait pas de papillons. Les matelots s’écrièrent qu’il « neigeait des papillons » ; c’était là, en effet, l’aspect que présentait le ciel. Ces papillons appartenaient à plusieurs espèces, la plus grande partie cependant ressemblait à l’espèce anglaise si commune, le Colias edusa, sans être identique avec elle. Quelques phalènes et quelques hyménoptères accompagnaient ces papillons et un beau scarabée (un Calosoma) tomba à bord de notre vaisseau. On connaît quelques autres cas où ce scarabée a été capturé fort loin en pleine mer, ce qui est d’autant plus remarquable que le plus grand nombre des Carabiques se servent rarement de leurs ailes. La journée avait été fort belle et fort calme, la veille aussi il avait fait beau, il y avait peu de vent et sans direction bien arrêtée. Nous ne pouvions donc supposer que ces insectes avaient été emportés de terre par le vent et il faut bien admettre qu’ils s’en étaient volon-