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POUSSIERE ATMOSPHERIQUE.

éclatant de rire, et nous les quittons au moment où leur chant reprend avec plus d’énergie encore.

Un matin, par un temps singulièrement clair, les contours des montagnes éloignées se détachent de la façon la plus nette sur une bande de nuages bleu foncé. À en juger par les apparences et par les cas analogues en Angleterre, je supposai que l’air était saturé d’humidité. Rien de semblable ; l’hygromètre indiquait une différence de 29°,6 entre la température de l’air et le point auquel la rosée se fût condensée ; différence qui se montait à près du double de celle que j’avais observée les jours précédents. Des éclairs continuels accompagnaient cette sécheresse extraordinaire de l’atmosphère. N’est-il pas fort remarquable de trouver une transparence de l’air aussi parfaite jointe à un tel état du temps ?

L’atmosphère est ordinairement brumeuse ; cette brume provient de la chute d’une poussière impalpable qui endommage quelque peu nos instruments astronomiques. La veille de notre arrivée à Porto-Praya, j’avais recueilli un petit paquet de cette fine poussière brune, que la toile métallique de la girouette placée au sommet du grand mât semblait avoir tamisée au passage. M. Lyell m’a aussi donné quatre paquets de poussière tombée sur un navire à quelques centaines de milles au nord de ces îles. Le professeur Ehrenberg[1] trouve que cette poussière est constituée en grande partie par des infusoires revêtus de carapaces siliceuses et des tissus siliceux de plantes. Dans cinq petits paquets que je lui ai envoyés, il a reconnu la présence de soixante-sept formes organiques différentes ! Les infusoires, à l’exception de deux espèces marines, habitent tous l’eau douce. À ma connaissance, on a constaté la chute de poussières identiques dans quinze vaisseaux différents, voguant sur l’Atlantique à des distances considérables de toute côte. La direction du vent au moment de la chute de cette poussière, le fait qu’elle tombe toujours pendant le mois où le harmattan élève, à des hauteurs considérables dans l’atmosphère, d’épais nuages de poussière, nous autorisent à affirmer qu’elle vient d’Afrique. Et cependant, fait fort singulier, bien que le professeur Ehrenberg connaisse plusieurs espèces d’infusoires particulières à l’Afrique, il ne retrouve pas une seule de ces espèces dans la poussière que je

  1. Je saisis cette occasion pour remercier cet illustre naturaliste de l’obligeance avec laquelle il a examiné un grand nombre de mes spécimens. J’ai adressé (juin 1845) à la Société de géologie un mémoire complet sur la chute de cette poussière.