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LAPINS SAUVAGES.

que les troupeaux ne se mélangent pas ; il pense aussi que les bestiaux couleur gris de plomb, bien que vivant sur les hautes terres, mettent bas un mois plus tôt environ que les bestiaux d’autre couleur vivant dans les basses terres. Il est fort intéressant de voir que des animaux, autrefois domestiques, ont revêtu trois couleurs distinctes, dont l’une desquelles finira probablement par prédominer sur les autres, si on laisse ces troupeaux en paix pendant quelques siècles encore.

Le lapin, lui aussi, a été introduit et a si parfaitement réussi, qu’il abonde dans de grandes parties de l’île. Cependant, tout comme les chevaux, il ne se rencontre que dans de certaines régions, car il n’a pas traversé la grande chaîne de collines qui coupe l’île en deux ; il ne se serait même pas étendu jusqu’à la base de ces collines si, comme me l’ont dit les Gauchos, on n’en avait pas importé quelques colonies dans ces endroits. Je n’aurais pas supposé que ces animaux, indigènes de l’Afrique septentrionale, aient pu vivre dans un climat aussi humide que celui de ces îles et où le soleil brille si peu, que le blé ne mûrit que fort rarement. On affirme qu’en Suède, pays qu’on aurait pu regarder comme plus favorable au lapin, il ne peut vivre en plein air. En outre, les quelques premiers couples importés ont eu à lutter contre des ennemis préexistants, le renard et quelques grands faucons, par exemple. Les naturalistes français ont considéré la variété noire du lapin comme une espèce distincte et l’ont appelée Lepus magellanicus[1]. Ils ont pensé que Magellan désignait cette espèce quand il parlait d’un animal sous le nom de Conejos ; mais il faisait alors allusion à un petit cavy que les Espagnols désignent encore sous ce nom. Les Gauchos se moquent de vous quand on leur dit que l’espèce noire diffère de l’espèce grise et ils ajoutent que, dans tous les cas, elle n’a pas étendu son habitat plus loin que l’espèce grise ; ils soutiennent encore que l’on ne trouve jamais une des deux espèces isolée, qu’elles s’accouplent communément ensemble et que les jeunes sont bigarrés. Je possède actuellement un spécimen de ces jeunes

  1. Lesson, Zoologie du voyage de la Coquille, t. I, p. 108. Tous les premiers voyageurs, et particulièrement Bougainville, déclarent qu’un renard ressemblant quelque peu au loup était le seul animal indigène de cette île. La distinction des deux espèces de lapin repose sur des différences dans la fourrure, la forme de la tête et la petitesse des oreilles. Je peux faire remarquer ici que la différence entre le lièvre irlandais et le lièvre anglais repose sur des caractères presque semblables, mais plus marqués.