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LES ILES FALKLAND.

bigarrés, et il porte sur la tête des marques qui le font différer de la description donnée par les savants français. Cette circonstance prouve quelle prudence les naturalistes devraient apporter à la création de nouvelles espèces ; car Cuvier lui-même, en examinant le crâne de ces lapins, a pensé que probablement ils formaient deux espèces distinctes !

Le seul quadrupède indigène de l’île[1] est un grand renard qui ressemble au loup (Canis antarcticus) ; il est commun dans la partie orientale aussi bien que dans la partie occidentale des îles Falkland. Je crois qu’il n’y a pas lieu de douter que ce soit là une espèce particulière, restreinte à cet archipel, parce que bien des pêcheurs de phoques, bien des Gauchos et bien des Indiens qui ont visité ces îles, m’ont tous affirmé qu’on ne trouve aucun animal semblable dans aucune partie de l’Amérique méridionale. Molina, se basant sur une similitude d’habitudes, a pensé que cet animal était analogue à son Culpeu[2] ; mais j’ai vu les deux animaux et ils sont absolument différents. Les récits que fait Byron de la timidité et de la curiosité de ces loups que les matelots, qui se jetaient à l’eau pour les éviter, prenaient pour de la férocité, les ont bien fait connaître. Leurs mœurs sont encore les mêmes. On les a vus entrer dans une tente et enlever de la viande placée sous la tête d’un matelot endormi. Les Gauchos les tuent très-fréquemment le soir, et, pour ce faire, leur offrent un morceau de viande d’une main pendant que de l’autre ils tiennent un couteau pour les frapper. Autant que je puis le savoir, il n’y a pas d’autre exemple au monde d’une terre aussi exiguë, aussi éloignée d’un continent et qui possède un quadrupède aborigène aussi grand et qui lui soit particulier. Mais le nombre de ces loups diminue rapidement ; ils ont déjà disparu de cette moitié de l’île qui se trouve à l’orient de la langue de terre qui se trouve entre la baie de San Salvador et le détroit de Berkeley. Dans quelques années, quand ces îles seront habitées, on pourra sans doute classer ce renard avec le dodo, comme un animal qui a disparu de la surface de la terre.

Nous passons la nuit du 17 sur la langue de terre qui forme la

  1. J’ai cependant lieu de soupçonner qu’il y a aussi un mulot. Le rat européen commun et la souris se sont fort écartés des habitations des colons. Le cochon commun vit aussi à l’état sauvage sur un des îlots ; tous sont noirs. Les sangliers sont très-féroces et ont d’énormes défenses.
  2. Le Culpeu est le Canis magellanicus, que le capitaine King a ramené du détroit de Magellan. Cet animal est fort commun au Chili.