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LES ILES FALKLAND.

pierres ayant un demi-mille de largeur, en sautant d’un bloc sur l’autre. Dans cet endroit les fragments sont si gros, que je pus m’abriter sous l’un d’eux pendant une pluie torrentielle qui se mit à tomber tout à coup.

Mais ce qui constitue le fait le plus remarquable relatif à ces torrents de pierre, c’est leur petite inclinaison. Sur le versant des collines je leur ai vu former un angle de 10 degrés avec l’horizon ; mais au fond de vallées larges et plates, c’est à peine si on peut percevoir un plan d’inclinaison. Il est fort difficile de mesurer l’angle que peut faire une surface aussi accidentée ; mais, pour donner une idée de ce qu’est la pente, je peux dire qu’elle ne serait pas suffisante pour entraver la vitesse d’une diligence. Dans quelques endroits ces couches de pierres suivent le lit d’une vallée jusqu’au sommet même de la colline. Sur le sommet des collines, des masses immenses, souvent plus grandes que de petites maisons, semblent avoir été arrêtées dans leur course ; là aussi des fragments, recourbés comme des arceaux, sont empilés les uns sur les autres comme les ruines de quelque antique cathédrale. On est vraiment tenté de passer d’une comparaison à une autre quand on essaye de décrire ces scènes de violence. On serait porté à croire que des torrents de lave blanche ont coulé de bien des parties des montagnes sur les basses terres, puis que quelque terrible convulsion a brisé, après leur solidification, ces torrents de lave en des myriades de fragments. L’expression rivière de pierres, qui se présente tout d’abord à l’esprit à la vue de ce spectacle, donne absolument la même idée. Le contraste des collines voisines basses et arrondies rend la scène encore plus frappante.

Je trouvai, ce qui m’intéressa beaucoup, sur le pic le plus élevé d’une chaîne de collines, à environ 700 pieds au-dessus du niveau de la mer, un immense fragment en arceau reposant sur son côté convexe, ou le dos en bas. Faut-il croire que ce fragment a été projeté en l’air et qu’il est retombé dans cette position ? ou bien faut-il croire, ce qui est plus probable, qu’il existait anciennement, dans la même chaîne de collines, une partie plus élevée que le point sur lequel repose aujourd’hui ce monument d’une grande convulsion de la nature ? Comme les fragments qui se trouvent dans les vallées ne sont pas arrondis et que les interstices ne sont pas remplis de sable, il nous faut conclure que la période de violence se produisit après que la terre avait émergé de la mer. J’ai pu observer une section transversale de ces vallées, ce qui m’a