Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
LA TERRE DE FEU.

de Feu comme l’extrémité submergée de la chaîne de montagnes à laquelle j’ai déjà fait allusion. Ce nom de wigwam provient de quelques habitations fuégiennes qui entourent le port ; mais on eût pu appliquer, avec autant de raison, la même appellation à toutes les baies voisines. Les habitants se nourrissent principalement de coquillages, aussi doivent-ils changer constamment de résidence ; mais ils reviennent à certains intervalles habiter les mêmes endroits, ce que prouvent les amas de vieilles coquilles qui forment quelquefois des tas pesant plusieurs tonneaux. On peut distinguer ces amas à une grande distance, en conséquence de la couleur vert clair de certaines plantes qui les recouvrent invariablement. Au nombre de ces plantes on peut citer le céleri sauvage et le cochléaria, deux plantes éminemment utiles, mais dont les indigènes n’ont pas encore découvert les qualités.

Le wigwam fuégien ressemble absolument par sa forme et par sa grandeur à un tas de foin. Il consiste simplement en quelques branches cassées fichées en terre, et dont les interstices sont fort imparfaitement bouchés d’un côté avec quelques touffes d’herbes et quelques branchages. Ces wigwams représentent à peine le travail d’une heure ; les indigènes ne s’en servent d’ailleurs que pendant quelques jours. J’ai vu à la baie de Gœree un endroit où un de ces hommes nus avait passé la nuit, et qui n’offrait certainement pas plus d’abri que le gîte d’un lièvre. Cet homme vivait évidemment seul ; York Minster me dit que ce devait être un très-méchant homme et que très-probablement il avait volé quelque chose. Sur la côte occidentale, les wigwams sont toutefois un peu plus convenables, recouverts qu’ils sont presque tous par des peaux de phoque. Le mauvais temps nous retient ici pendant quelques jours. Le climat est détestable ; nous sommes au solstice d’été, et tous les jours il tombe de la neige sur les collines ; tous les jours, dans les vallées, il pleut et il grêle. Le thermomètre marque environ 45 degrés Fahrenheit (7°,2 centigrades) ; mais, pendant la nuit, il tombe à 38 ou 40 degrés (3°,3 à 4°,4 centigrades). On se figure d’ailleurs le climat encore pire qu’il ne l’est réellement, à cause de l’état humide et tempétueux de l’atmosphère, qu’un rayon de soleil vient bien rarement égayer.

Un jour que nous nous rendions à terre auprès de l’île de Wollaston, nous rencontrâmes un canot contenant six Fuégiens. Je n’avais certainement jamais vu créatures plus abjectes et plus misérables. Sur la côte orientale, les indigènes, comme je l’ai dit,