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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/297

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JAJUEL.

mettent au travail avec le jour et ne cessent qu’à la nuit. Ils reçoivent 25 francs par mois, plus leur nourriture ; pour déjeuner, on leur donne seize figues et deux petits morceaux de pain ; pour dîner, des fèves cuites à l’eau ; pour souper, du blé concassé et grillé. Ils ne mangent presque jamais de viande ; car, sur leurs 300 francs par an, il leur faut s’habiller et nourrir leur famille. Les mineurs qui travaillent à l’intérieur de la mine reçoivent 31 fr. 25 par mois ; on leur donne, en outre, un peu de charqui ; mais ces hommes ne quittent la triste scène de leur travail qu’une fois tous les quinze jours ou toutes les trois semaines.

Quel plaisir n’éprouvai-je pas, pendant mon séjour à Jajuel, à escalader ces immenses montagnes ! La géologie du pays est fort intéressante, il est facile de le comprendre. Les roches brisées, soumises à l’action du feu, traversées par d’innombrables dykes de diorite, prouvent quelles formidables commotions ont eu lieu autrefois. Le paysage ressemble beaucoup à celui que l’on peut voir auprès de la cloche de Quillota : des montagnes sèches et arides, couvertes çà et là de buissons au rare feuillage. Cependant il y a ici un grand nombre de cactus ou plutôt d’opuntias. J’en mesurai un qui affectait la forme d’une sphère et qui, y compris les épines, avait 6 pieds 4 pouces de circonférence. La hauteur de l’espèce commune, branchue, est de 12 à 15 pieds, et la circonférence des branches, y compris les épines, entre 3 et 4 pieds.

Une chute de neige considérable sur les montagnes m’empêche, pendant les deux derniers jours de mon séjour, de faire quelques excursions intéressantes. J’essaye de pénétrer jusqu’à un lac que les habitants, je n’ai jamais pu savoir pourquoi, considèrent comme un bras de mer. Pendant une sécheresse terrible, on proposa de creuser un canal pour amener dans la plaine l’eau de ce lac ; mais le padre, après une longue consultation, déclara que c’était là chose trop dangereuse, car tout le Chili serait inondé si, comme on le supposait généralement, le lac communiquait avec le Pacifique. Nous montons à une grande hauteur, mais nous nous perdons dans les neiges et nous ne pouvons atteindre ce lac étonnant ; nous devons donc rebrousser chemin, mais ce n’est pas sans difficultés. J’ai cru un instant que nous perdrions nos chevaux, car nous n’avions aucun moyen de juger de l’épaisseur de la couche de neige, et les pauvres bêtes ne pouvaient avancer que par soubresauts. À en juger par le ciel chargé de nuages, une nouvelle tempête de neige se préparait ; aussi ce ne fut pas sans un grand