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HABITUDES D’UN DIODON.

bas. Cuvier doute que le diodon puisse nager dans cette position ; néanmoins il peut alors non-seulement s’avancer en droite ligne, mais aussi tourner à droite et à gauche. Il effectue ce dernier mouvement en se servant uniquement de ses nageoires pectorales ; la queue, en effet, s’affaisse et il ne s’en sert pas. Le corps devient si parfaitement léger, grâce à l’air qu’il contient, que les branchies se trouvent en dehors de l’eau, mais le courant d’eau qui entre par la bouche s’écoule constamment par ces ouvertures.

Après être resté gonflé pendant quelque temps, le diodon chasse ordinairement l’air et l’eau avec une force considérable par les branchies et par la bouche. Il peut se débarrasser à volonté d’une partie de l’eau qu’il a laissée entrer. Il paraît donc probable qu’il n’absorbe en partie ce liquide que pour régulariser sa gravité spécifique. Le diodon possède plusieurs moyens de défense. Il peut faire une terrible morsure et rejeter l’eau par la bouche à une certaine distance, tout en faisant un bruit singulier en agitant ses mâchoires. En outre, le gonflement de son corps fait redresser les papilles qui couvrent sa peau et qui se transforment alors en pointes acérées. Mais la circonstance la plus curieuse est que la peau de son ventre sécrète, quand on vient à la toucher, une matière fibreuse d’un rouge-carmin admirable qui tache le papier et l’ivoire d’une façon si permanente, que des taches que j’ai obtenues de cette manière sont encore tout aussi brillantes qu’au premier jour. J’ignore absolument quelle peut être la nature ou l’usage de cette sécrétion. Le docteur Allan de Forres m’a affirmé avoir souvent trouvé un diodon vivant et le corps gonflé dans l’estomac d’un requin ; il s’est en outre assuré que cet animal parvient à se faire un passage en dévorant non-seulement les parois de l’estomac, mais encore les côtés du monstre qu’il finit ainsi par tuer. Qui se serait imaginé qu’un petit poisson, si mou, si insignifiant, pût parvenir à détruire le requin, si grand et si sauvage ?

18 mars. — Nous quittons Bahia. Quelques jours après, à peu de distance des petites îles Abrolhos, j’observai que la mer avait revêtu une teinte brun rougeâtre. Observée à la loupe, toute la surface de l’eau paraissait couverte de brins de foin haché et dont les extrémités seraient déchiquetées. Ce sont de petites conferves en paquets cylindriques, contenant environ cinquante ou soixante de ces petites plantes. M. Berkeley m’apprend qu’elles appartiennent à la même espèce (Trichodesmium erythraeum) que celles trouvées sur une grande étendue de la mer Rouge et qui ont valu ce nom