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CHILOÉ.

somme assez jolie ; elle appartient à une des familles les plus respectables de Castro, ce qui ne l’empêche pas de monter à cheval comme un homme ; elle n’a d’ailleurs ni bas ni souliers. Je suis tout surpris de son manque de dignité. Son père l’accompagne et ils ont des provisions ; malgré cela ils nous regardent manger avec un tel air d’envie, que nous finissons par nourrir tous nos compagnons de route. Pas un seul nuage au ciel pendant la nuit ; aussi pouvons-nous jouir de l’admirable spectacle que produisent les étoiles innombrables qui illuminent les profondeurs de la forêt.

23 janvier. — Nous nous levons de bonne heure, et, à deux heures, nous arrivons dans la jolie petite ville de Castro. Le vieux gouverneur était mort depuis notre dernière visite et un Chilien avait pris sa place. Nous étions porteurs d’une lettre d’introduction pour don Pedro, qui se montra fort bon, fort aimable, fort hospitalier, et beaucoup plus désintéressé qu’on ne l’est d’ordinaire de ce côté du continent. Le lendemain, don Pedro nous procure des chevaux et s’offre à nous accompagner lui-même. Nous nous dirigeons vers le sud, en suivant presque constamment la côte ; nous traversons plusieurs hameaux, dans chacun d’eux nous remarquons une grande église construite en bois et ressemblant exactement à une grange. Arrivés à Vilipilli, don Pedro demande au commandant de nous procurer un guide pour nous conduire à Cucao. Le commandant est un vieillard ; il s’offre cependant à nous servir lui-même de guide ; mais ce n’est qu’après de longs pourparlers, car il a peine à comprendre que deux Anglais aient réellement l’intention d’aller visiter un endroit aussi retiré que l’est Cucao. Les deux plus grands aristocrates du pays nous accompagnent donc, et il est facile de le voir par la conduite des Indiens envers eux. À Chonchi, nous tournons le dos à la côte pour nous enfoncer dans les terres ; nous suivons des sentiers à peine tracés, traversant tantôt de magnifiques forêts, tantôt de jolis endroits cultivés où abondent le blé et la pomme de terre. Ce pays boisé, accidenté, me rappelle les parties les plus sauvages de l’Angleterre, ce qui n’est pas sans me causer une certaine émotion. À Vilinco, situé sur les bords du lac de Cucao, il n’y a que quelques champs en culture ; ce village paraît habité exclusivement par des Indiens. Le lac a 12 milles de longueur et s’étend de l’est à l’ouest. En raison de circonstances locales, la brise de mer souffle très-régulièrement pendant la journée et le calme le plus complet règne pendant la nuit ; cette régularité a donné lieu aux exagéra-