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CUCAO.

tions les plus incroyables, car, à entendre les descriptions qu’on nous avait faites de ce phénomène à San Carlos, nous nous attendions à un véritable prodige.

La route qui conduit à Cucao est si mauvaise, que nous nous décidons à nous embarquer dans une periagua. Le commandant ordonne à six Indiens de se préparer à nous transporter de l’autre côté du lac sans daigner leur dire si on les payera pour leur dérangement. La periagua est une embarcation fort primitive et fort étrange, mais l’équipage est plus étrange encore ; je doute que six petits hommes plus laids se soient jamais trouvés réunis dans un même bateau. Je me hâte d’ajouter qu’ils rament très-bien et avec beaucoup d’ardeur. Le chef d’équipage babille constamment en indien ; il ne s’interrompt que pour pousser des cris étranges qui ressemblent beaucoup à ceux que pousse un gardeur de cochons qui veut faire marcher ces animaux devant lui. Nous partons avec une légère brise contre nous, ce qui ne nous empêche pas d’arriver avant la nuit à la Capella de Cucao. Des deux côtés du lac, la forêt règne sans aucune interruption. On avait embarqué une vache avec nous. Faire entrer un si gros animal dans un si petit bateau semble à première vue constituer une grande difficulté, que les Indiens surmontent, il faut l’avouer, en une minute. Ils amènent la vache au bord du bateau, puis ils lui placent sous le ventre deux rames dont les extrémités vont s’appuyer sur le bord ; à l’aide de ces leviers, ils renversent la pauvre bête, la tête en bas et les jambes en l’air, dans le canot, où ils l’attachent avec des cordes. À Cucao nous trouvons une hutte non habitée ; c’est la résidence du padre quand il vient rendre visite à cette capella ; nous nous emparons de cette habitation, nous allumons du feu, nous faisons cuire notre souper et nous nous trouvons tout à fait à l’aise.

Le district de Cucao est le seul point habité de toute la côte occidentale de Chiloé. Il contient environ trente ou quarante familles indiennes, éparses sur 4 ou 5 milles de la côte. Ces familles se trouvent absolument séparées du reste de l’île, aussi font-elles fort peu de commerce ; elles vendent toutefois un peu d’huile de phoque. Ces Indiens fabriquent leurs propres vêtements et sont assez bien habillés ; ils ont des aliments en abondance, et cependant ils ne paraissent pas satisfaits ; ils sont aussi humbles qu’il est possible de l’être. Ces sentiments proviennent en grande partie, je crois, de la dureté et de la brutalité des autorités locales. Nos compagnons, fort polis pour nous, traitaient les Indiens