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INDIENS.

un excellent homme, fort hospitalier ; il vient de Santiago et est parvenu à s’entourer de quelque confort. Il a reçu une certaine éducation, et, ce qui lui pèse le plus, c’est le manque absolu de société. Quelle triste chose doit être la vie de cet homme qui n’a pas grand zèle religieux et qui n’a ni occupation ni but ! Le lendemain, en retournant à Valdivia, nous rencontrons sept Indiens fort sauvages ; quelques-uns d’entre eux sont des caciques qui viennent de recevoir du gouvernement chilien le salaire annuel, récompense de leur fidélité. Ce sont de beaux hommes, mais quelles figures sombres ! Ils vont à la suite les uns des autres ; un vieux cacique ouvre la marche et me semble le plus ivre d’eux tous à en juger par son excessive gravité et par sa face injectée de sang. Peu auparavant, deux Indiens nous avaient rejoints ; ils viennent de fort loin et se rendent à Valdivia pour un procès. L’un d’eux est fort vieux, fort jovial ; mais, à voir sa face toute ridée et entièrement dépourvue de barbe, on le prendrait plutôt pour une femme que pour un homme. Je leur donne assez souvent des cigares ; ils les reçoivent avec plaisir, mais c’est à peine s’ils condescendent à me remercier. Un Indien de Chiloé, au contraire, aurait soulevé son chapeau et aurait répété son éternel « Dios le page ! » Notre voyage devient fort ennuyeux, et à cause du mauvais état des routes, et à cause des nombreux troncs d’arbres qui barrent le chemin, et par-dessus lesquels il faut sauter ou dont il faut faire le tour. Nous couchons en route ; le lendemain matin nous arrivons à Valdivia et je regagne notre vaisseau.

Quelques jours après, je traverse la baie en compagnie de quelques officiers et nous débarquons près du fort Niebla. Les édifices sont presque en ruines et tous les affûts sont pourris. M. Wickham dit au commandant que si l’on tirait un seul coup de canon, ces affûts tomberaient en morceaux. « Oh ! non, monsieur, répond le pauvre homme tout fier de ses canons, ils résisteraient certainement à deux décharges ! » Les Espagnols avaient sans doute l’intention de rendre cette place imprenable. On voit encore, au beau milieu de la cour, une petite montagne de mortier qui est devenu aussi dur que le roc sur lequel il est placé. On a apporté ce mortier du Chili ; il y en avait pour 7000 dollars. La révolution ayant éclaté, on oublia de l’employer à quoi que ce soit ; il reste là, véritable emblème de la grandeur passée de l’Espagne.

Je voulais me rendre à une petite maison située à environ 1 mille et demi ; mais mon guide me dit qu’il est impossible de traverser