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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/340

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VALDIVIA.

le bois en droite ligne. Il m’offre cependant de me conduire en me faisant suivre le chemin le plus court, les sentiers que suivent les bestiaux ; j’accepte, mais il ne nous faut pas moins de trois heures pour arriver à notre but ! Le métier de cet homme est de rechercher les bestiaux qui peuvent s’égarer ; il doit donc bien connaître ces bois, cependant il me raconte que tout récemment il s’est égaré et est resté deux jours sans manger. Ces faits ne donnent qu’une faible idée de l’impossibilité absolue qu’il y a à pénétrer dans les forêts de ces pays. Je me faisais souvent cette question : Combien de temps un arbre tombé met-il à se pourrir de façon à ce qu’il n’en reste plus trace ? Mon guide me montre un arbre qu’une troupe de royalistes en fuite a coupé il y a quatorze ans ; à prendre cet arbre comme critérium, je crois qu’un tronc d’arbre ayant 1 pied et demi de diamètre serait en trente ans transformé en un petit monceau de terre.

20 février. — Jour mémorable dans les annales de Valdivia, car on a ressenti aujourd’hui le plus violent tremblement de terre qui de mémoire d’homme se soit produit ici. Je me trouvais sur la côte, et je m’étais couché à l’ombre dans le bois pour me reposer un peu. Le tremblement de terre commença soudainement et dura deux minutes. Mais le temps nous parut beaucoup plus long, à mon compagnon et à moi. Le tremblement du sol était très-sensible. Les ondulations nous parurent venir de l’est ; d’autres personnes soutinrent qu’elles venaient du sud-ouest ; ceci prouve combien il est parfois difficile de déterminer la direction des vibrations. On n’éprouvait aucune difficulté à se tenir debout ; mais le mouvement me donna presque le mal de mer : il ressemblait en effet beaucoup au mouvement d’un vaisseau au milieu de lames fort courtes, ou, mieux encore, on aurait dit patiner sur de la glace trop faible qui ploie sous le poids du corps.

Un tremblement de terre bouleverse en un instant les idées les plus arrêtées ; la terre, l’emblème même de la solidité, a tremblé sous nos pieds comme une croûte fort mince placée sur un fluide ; un espace d’une seconde a suffi pour éveiller dans l’esprit un étrange sentiment d’insécurité que des heures de réflexion n’auraient pu produire. Le vent, au moment du choc, agitait les arbres de la forêt ; aussi je ne fis que sentir la terre trembler sous mes pieds sans observer aucun autre effet. Le capitaine Fitz-Roy et quelques officiers se trouvaient alors dans la ville ; là l’effet fut beaucoup plus frappant, car, bien que les maisons construites en bois