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LE PORTILLO.

rence de l’air, qui est telle que les objets situés à différentes distances se trouvent confondus les uns avec les autres, et aussi de la fatigue corporelle que cause l’ascension, — l’habitude dans ce cas l’emporte sur l’évidence fournie par les sens. Cette extrême transparence de l’air donne au paysage un caractère tout particulier : tous les objets, en effet, semblent se trouver dans le même plan, comme dans un dessin ou dans un panorama. Cette transparence provient, je crois, de l’excessive sécheresse de l’atmosphère. J’acquis bientôt la preuve de cette sécheresse par les ennuis que me causa mon marteau de géologue, dont le manche se rétrécit considérablement ; par la dureté acquise par les aliments tels que le pain et le sucre ; par la facilité avec laquelle je pus conserver la peau et la chair d’animaux qui avaient péri pendant notre voyage. J’attribue à la même cause la facilité singulière avec laquelle l’électricité se développe dans ces parages. Mon gilet de flanelle, frotté dans l’obscurité, brillait comme s’il avait été enduit de phosphore ; — les poils de nos chiens se dressaient et pétillaient ; — nos draps mêmes et les courroies de nos selles lançaient des étincelles quand nous les touchions.

23 mars. — Le versant oriental de la Cordillère est beaucoup plus incliné que le versant tourné vers l’océan Pacifique ; en d’autres termes, les montagnes s’élèvent plus abruptement au-dessus des plaines qu’au-dessus de la région déjà montagneuse du Chili. Une mer de nuages d’un blanc éblouissant s’étend sous nos pieds, nous dérobant la vue des plaines. Nous pénétrons bientôt dans cette couche de nuages dont nous ne sommes pas encore sortis au bout de la journée. Vers midi, nous arrivons à Los Arenales, et comme nous y trouvons des pâturages pour nos bêtes de somme et du bois pour faire du feu, nous nous décidons à séjourner en cet endroit jusqu’au lendemain matin. Nous nous trouvions presque à la limite supérieure des buissons, par une altitude d’environ 7 000 ou 8 000 pieds.

La différence considérable qui existe entre la végétation de ces vallées orientales et celle des vallées du Chili ne laisse pas que de me frapper beaucoup, car le climat et la nature du sol sont presque absolument identiques et la différence de longitude est insignifiante. La même remarque s’applique aux quadrupèdes et, à un degré un peu moindre, aux oiseaux et aux insectes. Je puis citer la souris comme exemple ; je trouvai, en effet, treize espèces de souris sur les côtes de l’Atlantique et cinq seulement sur les côtes