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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/367

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ZOOLOGIE.

du Pacifique ; or, pas une seule de ces espèces ne se ressemble. Il faut toutefois excepter de cette règle toutes les espèces qui fréquentent habituellement ou accidentellement les montagnes élevées et certains oiseaux qui s’étendent dans le Sud jusqu’au détroit de Magellan. Ce fait concorde parfaitement avec l’histoire géologique des Andes ; ces montagnes, en effet, ont toujours constitué une infranchissable barrière depuis l’apparition des races actuelles d’animaux. Par conséquent, à moins que nous ne supposions que les mêmes espèces ont été créées en deux endroits différents, nous ne devons pas plus nous attendre à trouver une similitude absolue entre les êtres qui habitent les côtés opposés des Andes qu’entre ceux qui habitent les côtés opposés de l’Océan. Dans les deux cas, il faut excepter les espèces qui ont pu traverser la barrière, qu’elle soit formée de rochers ou d’eau salée[1].

Les plantes et les animaux qui m’entourent sont absolument les mêmes que ceux de la Patagonie, ou tout au moins ils en sont très-proches parents. Je retrouve ici l’agouti, la viscache, trois espèces de tatous, l’autruche, certaines espèces de perdrix et d’autres oiseaux, animaux que l’on ne rencontre jamais au Chili, mais qui caractérisent les plaines désertes de la Patagonie. Nous retrouvons aussi les mêmes buissons rabougris et épineux (quiconque n’est pas botaniste ne ferait aucune différence), les mêmes herbages flétris, les mêmes plantes naines. Les scarabées noirs eux-mêmes sont presque semblables ; après en avoir étudié quelques-uns avec grand soin, j’en suis arrivé à la conclusion qu’ils sont identiques. J’avais toujours profondément regretté que nous ayons été forcés d’abandonner l’exploration du Santa Cruz avant d’arriver aux montagnes ; il me semblait, en effet, que nous devions trouver plus haut, sur le cours du fleuve, des changements considérables dans l’aspect du pays ; je suis convaincu aujourd’hui que nous n’aurions fait que suivre les plaines de la Patagonie jusque sur le flanc des montagnes.

24 mars. — Dans la matinée, je grimpe sur une montagne située sur un des côtés de la vallée ; de là j’ai une vue magnifique sur

  1. C’est là un exemple des admirables lois qu’a le premier indiquées M. Lyell sur l’influence des changements géologiques sur la distribution géographique des animaux. Tout le raisonnement repose, bien entendu, sur le principe de l’immutabilité des espèces ; on pourrait expliquer autrement la différence entre les espèces des deux régions par des changements survenus dans le cours des siècles.