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TORTUES.

sources une grande quantité de ces immenses créatures, les unes se dirigeant rapidement vers l’eau, le cou tendu, les autres s’en allant tranquillement, leur soif étanchée. Quand la tortue arrive à la source, elle s’inquiète peu qu’on la regarde ou non, elle plonge la tête dans l’eau et avale rapidement d’immenses gorgées, environ dix par minute. Les habitants affirment que chaque tortue reste trois ou quatre jours dans le voisinage de l’eau, puis qu’elle retourne dans les parties basses du pays ; mais il est fort difficile de savoir si elle renouvelle fréquemment ses visites. L’animal se règle probablement sur la nature des aliments qu’il mange chaque jour. Quoi qu’il en soit, il est certain que les tortues peuvent vivre même dans les îles où il n’y a pas d’autre eau que celle qui tombe pendant les quelques jours pluvieux de l’année.

Il est prouvé aujourd’hui, je crois, que la vessie de la grenouille sert de réservoir à l’humidité nécessaire à son existence ; il semble en être de même pour la tortue. On remarque, en effet, qu’après leur visite aux sources, la vessie de ces animaux se distend considérablement et qu’elle est pleine d’un fluide qui diminue par degrés et qui devient de moins en moins pur. Les habitants qui voyagent dans les régions basses profitent de cette circonstance, quand ils sont pressés par la soif, et boivent le contenu de la vessie si cette dernière est pleine ; j’ai vu tuer une tortue dans ces conditions : l’eau que contenait la vessie était parfaitement limpide, quoiqu’elle eût un goût légèrement amer. Toutefois les habitants commencent par boire l’eau qui se trouve dans le péricarde, eau qui, dit-on, est beaucoup meilleure.

Quand les tortues se dirigent vers un point déterminé, elles marchent nuit et jour et arrivent au but de leur voyage beaucoup plus tôt qu’on ne penserait. Les habitants ont observé des tortues qu’ils avaient marquées ; ils sont ainsi arrivés à savoir qu’elles font environ 8 milles en deux ou trois jours. J’ai surveillé moi-même une grosse tortue ; elle faisait 60 mètres en dix minutes, ce qui fait 360 mètres à l’heure ou environ 6 kilomètres et demi par jour, y compris un peu de temps pour lui permettre de manger en chemin. Pendant la saison des amours, alors que le mâle et la femelle sont réunis, le mâle fait entendre un cri rauque, espèce de beuglement que l’on peut entendre, dit-on, à une distance de plus de 100 mètres. La femelle ne se sert jamais de sa voix, et le mâle seulement à l’époque que je viens d’indiquer ; aussi, quand on entend ce bruit, on sait que les deux animaux sont ensemble.