Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
PLANAIRES TERRESTRES.

parties presque égales ; au bout de quinze jours, ces deux parties avaient recouvré la forme d’animaux parfaits. Cependant j’avais divisé l’animal de telle façon qu’une des moitiés contenait les deux orifices inférieurs, tandis que, par conséquent, l’autre n’en avait pas. Vingt-cinq jours après l’opération, on n’aurait pas pu distinguer la moitié la plus parfaite d’un autre spécimen quel qu’il soit. La taille de l’autre avait beaucoup augmenté, et il se formait dans la masse parenchymateuse, vers l’extrémité postérieure, un espace clair dans lequel on pouvait nettement discerner les rudiments d’une bouche ; on ne distinguait cependant pas encore d’ouverture correspondante à la surface inférieure. Si la chaleur, qui s’augmentait considérablement à mesure que nous approchions de l’équateur, n’avait pas cause la mort de tous ces individus, la formation de cette dernière ouverture aurait sans aucun doute complété l’animal. Bien que cette expérience soit très-connue, il n’en était pas moins intéressant d’assister à la production progressive de tous les organes essentiels dans la simple extrémité d’un autre animal. Il est extrêmement difficile de conserver ces planaires, car, dès que la cessation de la vie permet aux lois ordinaires d’agir, leur corps entier se transforme en une masse molle et fluide avec une rapidité que je n’ai remarquée dans aucun autre animal.

Je visitai pour la première fois la forêt où se trouvent ces planaires en compagnie d’un vieux prêtre portugais, qui m’emmena avec lui à la chasse. Cette chasse consiste à lancer quelques chiens dans le bois et ; attendre patiemment pour tirer tout animal qui peut se présenter. Le fils d’un fermier voisin, excellent spécimen de jeune Brésilien sauvage, nous accompagnait. Ce jeune homme portait un pantalon et une chemise en haillons ; il avait la tête nue, et était armé d’un vieux fusil et d’un couteau. L’habitude de porter le couteau est universelle ; les plantes grimpantes rendent d’ailleurs son emploi indispensable dès qu’on veut traverser un bois un peu épais ; mais on peut aussi attribuer à cette habitude les meurtres fréquents qui ont lieu au Brésil. Les Brésiliens se servent du couteau avec une habileté consommée ; ils peuvent le lancer à une assez grande distance, avec tant de force et de précision, qu’ils infligent presque toujours une blessure mortelle. J’ai vu un grand nombre de petits garçons s’essayer en jouant à lancer le couteau ; la facilité avec laquelle ils le plantaient dans un poteau fiché en terre promettait pour l’avenir. Mon compagnon avait tué la veille deux gros singes portant de la barbe. Ces ani-