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LES INDIGÈNES.

je lui donnerais de livres sterling, il est vrai qu’il se contenta ensuite de 2 dollars. Quand je lui montrai un petit paquet que je voulais emporter, il déclara qu’il devait se faire accompagner par un esclave. Ces sentiments d’orgueil commencent à disparaître, mais, il n’y a pas longtemps encore, un chef aurait proféré mourir plutôt que de se soumettre à l’indignité de porter le fardeau le plus petit. Mon guide était un homme actif, il portait une couverture fort sale et sa figure était complètement tatouée. Autrefois c’était un grand guerrier. Il paraissait dans les meilleurs termes avec M. Bushby, ce qui n’empêchait pas qu’ils n’eussent quelquefois de violentes querelles. M. Bushby me fit remarquer que le meilleur moyen de venir à bout de ces indigènes, même au moment où ils sont le plus en colère, est de se moquer tranquillement d’eux. « Un jour ce chef était venu dire à M. Bushby en le bravant : Un grand chef, un grand homme, un de mes amis, est venu me rendre visite, il faut que vous lui donniez quelque chose de bon à manger, que vous lui fassiez de beaux présents, etc. » M. Bushby le laissa aller jusqu’au bout, puis lui répondit tranquillement : « Que faut-il que votre esclave fasse encore pour vous ? » Cet homme le regarda, parut tout étonné et cessa immédiatement ses bravades.

Il y a quelque temps M. Bushby eut à soutenir une attaque beaucoup plus sérieuse. Un chef accompagné d’une troupe assez nombreuse essaya de pénétrer dans sa maison au milieu de la nuit ; ne pouvant y parvenir, ils commencèrent un feu de mousqueterie extrêmement vif. M. Bushby fut légèrement blessé, mais il parvint enfin à repousser les agresseurs. Peu après on découvrit le chef qui avait commandé la troupe et on provoqua une réunion de tous les chefs de l’île pour examiner l’affaire. Les Nouveaux-Zélandais considérèrent cet acte comme odieux, parce que l’attaque avait eu lieu pendant la nuit et que Mme  Bushby était malade dans la maison ; il faut remarquer à leur honneur qu’ils considèrent la présence d’une personne malade comme une protection. Les chefs convinrent de confisquer les terres de l’agresseur pour les remettre au roi d’Angleterre. On n’avait pas eu, jusque-là, d’exemple du jugement et surtout de la punition d’un chef. L’agresseur fut en outre dégradé, ce que les Anglais considérèrent comme bien plus important que la confiscation de ses terres.

Au moment où le bateau quittait la côte, un second chef y entra ; il désirait seulement passer le temps en venant se promener dans la crique. Je n’ai jamais vu expression plus horrible et plus féroce