Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
453
LE FROTTEMENT DES NEZ.

coup aux grognements que font entendre deux cochons qui se frottent l’un contre l’autre. Je remarque que l’esclave se frotte le nez avec tous les gens qu’il trouve sur son chemin sans s’inquiéter de laisser passer son maître le premier. Bien que, chez ces sauvages, le chef ait le droit le plus absolu de vie et de mort sur son esclave, il y a cependant entre eux une absence complète d’étiquette. M. Burchell a remarqué le même fait chez les grossiers Bachapins qui habitent l’Afrique méridionale. Partout où la civilisation a atteint un certain degré, on voit se produire immédiatement un grand nombre de formalités entre les individus appartenant à des classes différentes : ainsi, à Taïti, tout le monde était obligé, en présence du roi, de se découvrir jusqu’à la ceinture.

Quand mon compagnon eut achevé de se frotter le nez avec tous les individus présents, nous nous assîmes en cercle devant l’une des huttes ; nous nous y reposons une demi-heure. Toutes les huttes ont presque la même forme et la même dimension ; mais toutes se ressemblent sous un autre rapport, c’est-à-dire qu’elles sont toutes aussi abominablement sales les unes que les autres. Elles ressemblent à une étable dont une des extrémités serait ouverte ; à l’intérieur se trouve une cloison percée d’un trou carré, ce qui forme une petite chambre extrêmement sombre. C’est là que les habitants conservent tout ce qu’ils possèdent et qu’ils vont coucher quand le temps est froid ; mais ils prennent leurs repas et passent la journée dans la partie ouverte. Nous nous remettons en route quand mes guides ont fini de fumer leur pipe. Le sentier continue à traverser un pays ondulé, toujours recouvert de fougères. À notre droite nous voyons une petite rivière qui fait mille détours ; les rives sont bordées d’arbres et on voit aussi quelques buissons sur le flanc des collines. En dépit de sa couleur verte, le paysage semble désolé. La vue de tant de fougères donne l’idée de la stérilité ; c’est là, cependant, une opinion incorrecte, car, partout où les fougères poussent bien on est sûr que le sol est très-fertile, si on le laboure. Quelques résidents pensent que tout ce pays était autrefois couvert de forêts qui ont été détruites par le feu. On dit qu’en creusant dans les endroits les plus découverts on trouve des morceaux de résine semblable à celle qui coule du pin Kauri. Les indigènes ont évidemment eu un motif en détruisant les forêts ; la fougère leur fournissait, en effet, leur principal aliment et cette plante ne pousse que dans les endroits découverts. L’absence presque entière d’au-