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OISEAUX DE PROIE.

des exemples extraordinaires de la hardiesse et de la rapacité de ces oiseaux. Une fois, ils vinrent attaquer un chien qui dormait aux pieds de l’un des officiers ; une autre fois, à la chasse, on dut leur disputer des oies que l’on venait de tuer. On dit que, réunis en troupe (sous ce rapport ils ressemblent aux carranchas), ils se portent à l’entrée d’un terrier et se précipitent sur le lapin dès qu’il en sort. Alors que le vaisseau était dans le port, ils venaient constamment le visiter et il fallait une surveillance de tous les instants pour les empêcher de déchiqueter les morceaux de cuir qui peuvent se trouver dans les manœuvres et d’enlever les quartiers de viande ou le gibier suspendus à la poupe. Ces oiseaux sont fort curieux et par cela seul aussi fort désagréables ; ils ramassent tout ce qui peut se trouver sur le sol ; ils transportèrent à un mille de distance un grand chapeau en toile cirée, ils enlevèrent aussi une paire des boules fort lourdes dont on se sert pour prendre le bétail. M. Usborne fit, pendant une excursion, une perte plus sensible, car ils lui volèrent une petite boussole de Kater, enfermée dans un étui de maroquin rouge ; on ne put jamais la retrouver. Fort querelleurs, ils ont de terribles accès de colère pendant lesquels ils arrachent le gazon avec leur bec. On ne peut pas dire qu’ils vivent véritablement en société ; ils ne planent pas et leur vol est lourd et embarrassé ; sur le sol ils courent fort vite et leur démarche ressemble beaucoup à celle des faisans. Fort bruyants, ils poussent plusieurs cris aigus ; un de ces cris ressemble à celui du grolle anglais, aussi les pêcheurs de phoque leur ont-ils donné le nom de grolle. Circonstance curieuse, ils rejettent la tête en arrière, absolument comme le carrancha, quand ils poussent un cri. Ils construisent leurs nids sur les côtes escarpées, mais seulement sur les petits îlots qui avoisinent la côte, ils ne les placent jamais sur la terre ferme ou sur les deux îles principales ; singulière précaution pour un oiseau si peu sauvage et si hardi. Les marins disent que la chair cuite de ces oiseaux est fort blanche et constitue un mets excellent ; mais il faut bien du courage pour en avaler une seule bouchée.

Il nous reste à parler du vautour (Vultur aurea) et du gallinazo. On trouve le premier partout où le pays est modérément humide, depuis le cap Horn jusqu’à l’Amérique du Nord. Contrairement au Polyborus brasiliensis et au chimango, il a pénétré dans les îles Falkland. Le vautour est un oiseau solitaire, tout au plus le rencontre-t-on par couples. On peut immédiatement le reconnaître,