Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas la même certitude ; mais en dehors de ce petit malaise du départ, où il semble qu’une solitude se fasse tout à coup, un éloignement prématuré des objets ou des êtres qui vous entourent, il ne ressentait aucune appréhension sinistre, plutôt un soulagement à la situation la plus fausse, entouré qu’il était d’échéances menaçantes, d’obligations d’honneur. En cas de victoire, la liste civile solderait tout. La défaite entraînerait au contraire un écroulement général… la mort, une balle dans le front, bien en face… Il y pensait comme à une solution définitive aux chagrins d’argent et de cœur ; et son insouciance ne faisait pas trop mauvaise figure entre les préoccupations de la reine et l’enthousiasme d’Élisée. Mais, pendant qu’ils causaient tous trois dans le jardin, un domestique vint à passer.

— Dites à Samy d’atteler, commanda Christian. Frédérique tressaillit :

— Vous sortez ?

— Oui, par prudence… Le bal d’hier a dû faire causer Paris… Il faut que je me montre, qu’on me voie au cercle, au boulevard… Oh ! je reviendrai dîner avec vous.

Il monta le perron d’un saut, joyeux et libre comme un écolier qui sort de classe.

« J’aurai peur jusqu’au bout ! » dit la reine ; et Méraut, averti comme elle, ne trouva pas un mot pour l’encourager.