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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/288

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d’or, un petit œil vif et fureteur de ma connaissance et de la vôtre aussi, vous tous, mes amis qui écrivez. C’était l’amateur de livres, celui qui vient, dès qu’un volume de vous est annoncé, sonner à votre porte deux petits coups timides et persistants qui lui ressemblent. Il entre, souriant, l’échine basse, frétille autour de vous, vous appelle « cher maître », et ne s’en ira pas sans emporter votre dernier livre. Rien que le dernier ! Il a tous les autres, c’est celui-là seul qui lui manque. Et le moyen de refuser ? Il arrive si bien à l’heure, il sait si bien vous prendre au milieu de cette joie dont nous vous parlions, dans l’abandon des envois, des dédicaces. Ah ! le terrible petit homme que rien ne rebute, ni les portes sourdes, ni les accueils gelés, ni le vent, ni la pluie, ni les distances. Le matin, on le rencontre dans la rue de la Pompe, grattant au petit huis du patriarche de Passy ; le soir, il revient de Marly avec le nouveau drame de Sardou sous le bras. Et comme cela, toujours trottant, toujours en quête, il remplit sa vie sans rien faire, et sa bibliothèque sans payer.

Certes, il fallait que la passion des livres fût bien forte chez cet homme pour l’amener ainsi jusqu’à ce lit de mort.

« Eh ! prenez-le, votre exemplaire, » lui dis-je impatienté. Il ne le prit pas, il l’en-