Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/45

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Le petit Stenne aurait bien voulu parler, lui aussi, prouver qu’il n’était pas bête ; mais quelque chose le gênait. En face de lui se tenait à part un Prussien plus âgé, plus sérieux que les autres, qui lisait, ou plutôt faisait semblant, car ses yeux ne le quittaient pas. Il y avait dans ce regard de la tendresse et des reproches, comme si cet homme avait eu au pays un enfant du même âge que Stenne, et qu’il se fût dit :

« J’aimerais mieux mourir que de voir mon fils faire un métier pareil… »

À partir de ce moment, Stenne sentit comme une main qui se posait sur son cœur et l’empêchait de battre.

Pour échapper à cette angoisse, il se mit à boire. Bientôt tout tourna autour de lui. Il entendait vaguement, au milieu de gros rires, son camarade qui se moquait des gardes nationaux, de leur façon de faire l’exercice, imitait une prise d’armes au Marais, une alerte de nuit sur les remparts. Ensuite le grand baissa la voix, les officiers se rapprochèrent et les figures devinrent graves. Le misérable était en train de les prévenir de l’attaque des francs-tireurs.

Pour le coup, le petit Stenne se leva, furieux, dégrisé :

« Pas cela, grand… Je ne veux pas. »

Mais l’autre ne fit que rire et continua. Avant