Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/274

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Alors, comme le temps pressait, Désirée Delobelle s’arma de tout son courage et elle appela doucement :

– Papa… papa…

Au premier appel de sa fille, le grand homme accourut bien vite. Il y avait eu ce soir-là une première à l’Ambigu, et il était revenu enflammé, électrisé. Les lustres, la claque, les conversations dans les couloirs, tous ces détails excitants dont il entretenait sa folie, l’avait laissé plus illusionné que jamais.

Il entra dans la chambre de Désirée, rayonnant et superbe, sa lampe à la main, bien droite, un camélia à la boutonnière.

– Bonsoir, Zizi. Tu ne dors donc pas ?

Et ses paroles avaient une intonation joyeuse qui résonna singulièrement dans la tristesse environnante. De la main, Désirée lui fit signe de se taire, en lui montrant la maman Delobelle endormie.

– Posez votre lampe… J’ai à vous parler.

Sa voix le frappa, saccadée par l’émotion ; et ses yeux le frappèrent aussi, plus grands ouverts, éclairés par un regard pénétrant qu’il ne leur avait jamais vu.

Un peu intimidé, il s’approcha d’elle, son camélia à la main pour le lui offrir, la bouche « en petite pomme », avec un craquement de souliers neufs qu’il trouvait très aristocratique. Sa pose était évidemment gênée ; et cela tenait sans doute au trop grand contraste existant entre la salle de théâtre, éclairée et bruyante, qu’il venait de quitter, et cette petite chambre de malade où les bruits amortis, les lumières baissées s’évanouissaient dans une atmosphère fiévreuse.