Page:Daudet - Jack, I.djvu/220

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quelques jours. Je vais lui écrire que tu es arrivé ; il sera bien content, car malgré son air sévère, vois-tu, c’est le meilleur des hommes et il t’aime beaucoup… Il faudra bien l’aimer, toi aussi, mon petit Jack… Sans cela, entre vous deux, je serais trop malheureuse.

En parlant ainsi, elle contemplait le portrait de d’Argenton pendu au mur au fond de la pièce, un portrait peint dont la photographie de la chambre n’était que la reproduction. L’image du poète se répétait en effet dans toutes les pièces, sans parler d’un buste en bronze florentin qui trônait au milieu d’une pelouse à l’entrée du verger ; et, particularité bien significative, il n’y avait pas d’autre portrait que le sien dans toute la maison.

— Tu me le promets, mon Jack, que tu l’aimeras…, répéta la pauvre folle en face de l’image sévère et moustachue.

L’enfant baissa la tête et répondit avec effort :

— Je te le promets.

Alors elle referma la porte, et ils descendirent l’escalier sans un mot.

Ce fut le seul nuage de cette mémorable journée.

Ils étaient si bien tous les deux, rien qu’eux deux, dans la grande salle à manger tapissée de faïence, où la soupe aux choux épaisse et fumante avait un parfum d’aristocratique fantaisie. On entendait la mère Archambauld se dépêchant de laver ses assiettes à la cuisine. Autour de la maison, le silence, le bon silence