Page:Daudet - Jack, I.djvu/221

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de la campagne rôdait comme un gardien mystérieux. Jack ne se lassait pas d’admirer sa mère. Elle aussi le trouvait beau, grandi, bien fort pour ses onze ans ; et ils s’embrassaient entre chaque bouchée comme deux amoureux.

Dans la soirée, ils eurent des visites. Le père Archambauld vint chercher sa femme, comme tous les soirs ; car ils habitaient loin à l’intérieur de la forêt. On le fit asseoir dans la salle à manger.

— Allons, un verre de vin, père Archambauld ! À la santé de mon petit garçon… N’est-ce pas qu’il est gentil, et que vous l’emmènerez quelquefois avec vous courir le bois ?

— Mais je crois bien, madame d’Argenton.

Et tout en levant son verre de vin, ce géant, roux et tanné, la terreur des braconniers du pays, promenait de droite à gauche un regard que l’affût de nuit parmi les buissons et les branches avait affiné et rendu si mobile qu’il ne pouvait plus se fixer.

Ce nom de d’Argenton donné à sa mère taquinait un peu notre ami Jack. Mais comme il n’avait pas une notion bien exacte des dignités ni des devoirs de la vie, sa légèreté d’enfant l’emporta vite vers d’autres pensées, vers ces promesses de chasse à l’écureuil que le garde réitérait avant de s’en aller, tout en rappelant ses deux chiens qui soufflaient sous la table, et replaçant sur ses cheveux crêpus sa casquette de garde-forestier au service de l’État.