Page:Daudet - Jack, II.djvu/164

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bien triste en plein jour, avec le bruit strident de la pluie et l’horizon mouillé, brumeux, des bords de la Seine.

Jack se sentait gêné. Il pensait : « J’aurais mieux fait d’écrire… » et ne savait par où commencer.

— Eh bien ? dit Charlotte en arrêt, le menton dans la main, avec cette jolie pose de la femme qui écoute.

Il hésita encore une minute, comme on hésite à poser un poids trop lourd sur une étagère à bibelots, car ce qu’il avait à dire lui semblait considérable pour la petite tête légère qui se penchait vers lui.

— Je voudrais… je voudrais te parler de mon père.

Elle eut au bord des lèvres un « en voilà une idée ! » et si elle ne le prononça pas, l’expression saisie de sa figure, où il y avait de la stupéfaction, de l’ennui, de la crainte, le dit pour elle.

— C’est un sujet bien triste pour nous deux, mon pauvre enfant ; mais enfin, si pénible qu’il soit, je comprends ta curiosité, et je suis prête à la satisfaire… D’ailleurs, ajouta-t-elle avec solennité, je m’étais toujours promis, quand tu aurais vingt ans, de te révéler le secret de ta naissance.

Cette fois, ce fut à lui de la regarder, stupéfait.

Ainsi, elle ne se rappelait plus que, trois mois auparavant, elle lui avait fait cette révélation. Pourtant il ne protesta pas contre cet oubli. Il allait y gagner de pouvoir confronter ce qu’elle lui dirait avec ce qu’elle lui avait déjà dit. C’est qu’il la connaissait si bien !