Page:Daudet - Jack, II.djvu/208

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— Quel bonheur de vivre ! Comme je vais bien travailler ! se disait Jack en marchant. Tout à coup, il se heurta contre un grand panier, carré comme un orgue, rempli de chapeaux de feutre et de casquettes. La vue de cette hotte accotée au mur lui remit dans l’esprit la physionomie de Bélisaire. Rien que ce panier lui ressemblait ; mais ce qui complétait la ressemblance, c’est que la hotte aux chapeaux était posée à la porte d’une échoppe sentant la poix et le cuir, et présentant à sa vitre étroite plusieurs rangées de fortes semelles ornées de clous solides et étincelants.

Jack se rappela l’éternelle souffrance de son ami le camelot, son rêve inassouvi d’une chaussure faite à sa mesure ; et regardant dans la boutique, il aperçut en effet la silhouette balourde et grotesque du marchand de casquettes, toujours aussi laid, mais visiblement plus propre, mieux vêtu. Jack éprouva une vraie joie de le retrouver, et après avoir cogné vainement au carreau deux ou trois fois, il entra sans être aperçu du forain, absorbé dans la contemplation d’une chaussure que le marchand lui montrait. Ce n’était pas pour lui qu’il achetait des souliers ; c’était pour un tout petit enfant de quatre à cinq ans, pâle, bouffi, dont la tête énorme se balançait sur des épaules maigriottes. Pendant que le cordonnier lui essayait des bottines, Bélisaire parlait au petit avec son bon sourire :

— On est bien, n’est-ce pas, m’ami, là dedans ?…