Page:Daudet - Jack, II.djvu/232

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un miroir terrible, d’une réverbération insupportable. En ce moment, la lumière naissante s’y reflète en teintes vagues et douces, si bien que la haute cheminée établie au milieu du bâtiment, consolidée de longs cordages qui vont rejoindre les toits voisins, semble le mât de quelque navire voguant sur une eau luisante et lourde. En bas, les coqs chantent dans ces poulaillers que les commerçants des faubourgs installent en un coin de hangar ou de jardin. On n’entend pas d’autre bruit jusqu’à cinq heures. Tout à coup, un cri retentit :

— « Ma’me Jacob, ma’me Mathieu, v’là le pain ! »

C’est la voisine de Jack qui commence sa tournée. Son tablier rempli de pains de toutes les grandeurs, embaumés, encore chauds, elle s’en va par les couloirs, les escaliers, et, dans l’angle des portes où les boîtes à lait sont pendues, pose le pain tout debout en appelant par leur nom ses pratiques à qui elle sert de réveille-matin ; car elle est toujours la première levée dans le faubourg.

— « V’là le pain ! »

C’est le cri de la vie, l’appel éloquent et irrésistible. Voilà le réconfort de la journée, le pain terrible à gagner, qui fait la maison joyeuse, la table animée. Il en faut dans le bissac du père, dans le petit panier d’école de l’enfant, pour le café du matin et pour la soupe du soir.

— « V’là le pain ! v’là le pain ! »

Les tailles de bois crient sous le long couteau de la